le curé d'Ars…

 

 

Un autre obstacle va surgir à l'improviste sur le chemin du sacerdoce. En 1809, Jean-Marie reçoit sa feuille de route pour rejoindre l'armée. Napoléon faisait la guerre sur deux fronts à la fois :
en Espagne et en Autriche. Il lui fallait des hommes ! Certes, les futurs prêtres étaient dispensés du service militaire dans le diocèse de Lyon, et Jean-Marie était convoqué à tort. Mais rien n'y fait, il doit partir et laisser en plan toutes ses études ! Il tombe malade, fait un court séjour à l'hôpital avant d'être dirigé sur le centre de Roanne, et de là partir pour l'Espagne.
Il retombe malade. A peine convalescent, il apprend qu'il doit partir le lendemain. Avant d'aller prendre sa feuille de route, il entre dans une église pour confier au Seigneur tous ses soucis. Las ! Il en oublie l'heure et trouve fermée la porte du bureau de recrutement. Le lendemain, il met sac au dos et s'engage seul sur la route pour essayer de rattraper l'arrière-garde. Mais bientôt il s'arrête, fourbu ; entraîné par un homme, il va passer la nuit dans le village des Noës. Le maire le persuade d'y rester ; comment désormais pourra-t-il rejoindre son contingent ?
Il restera environ un an dans ce village chez Claudine Fayot, femme généreuse, travailleuse, prête à accueillir tous les malheureux. Il y fait la classe aux enfants le soir, se montrant peu dans la journée, tout en cherchant à rendre service autour de lui.
Comme l'inaction lui pèse, il fait venir ses livres d'études car il ne perd pas de vue la préparation de son sacerdoce. Enfin, en 1810, lui parvient la nouvelle qu'il peut rentrer : l'Empereur, à l'occasion de son mariage avec Marie-Louise, ayant publié un décret de large amnistie.

Le benjamin des enfants Vianney, François, dit le « Cadet » pour le distinguer de l'aîné, s'engage à remplacer son frère dans l'armée. Jean-Marie quitte aussitôt les Noës, où tout le monde pleure son départ ; on lui offre pour son trousseau de futur prêtre une soutane qu'il doit essayer sur le champs.
Il arrive à Dardilly juste pour revoir sa mère. Usée par tant d'épreuves, elle meurt quelques semaines après, âgée de 58 ans. Jean-Marie n'oublia jamais celle qui avait formé en lui l'âme chrétienne et lui avait appri la générosité qui devait le conduire jusqu'à la sainteté.

 
Jean-Marie retourne aussitôt à Ecully chez Monsieur Balley. Désormais il loge à la cure, faisant fonction de jardinier pendant les récréations, de sacristain et d'enfant de chœur à l'église. Le travaille avance et, le 28 mai 1811, Jean-Marie reçoit la tonsure. Il a franchit la première étape vers le sacerdoce. Inutile de décrire la joie de tous, surtout celle de l'abbé Balley, qui avait cru en lui malgré tous les obstacles.
Du Ciel, la maman Vianney devait, elle aussi, participer au bonheur de son cher enfant.
L'année suivante, Jean-Marie part pour le petit séminaire de Verrières, près de Montbrison. Là, il a un professeur plus jeune que lui, des camarades qui rient quand il ne comprend pas.
– « A Verrières, » dira-t-il plus tard, « j'ai eu un peu à souffrir. »
Mais il y rencontre un condisciple, Marcellin Champagnat, qui a, comme lui, bien du mal à étudier.
Plus âgés que les autres élèves, ils sympathisent vite et deviennent de grands amis.
Ils se retrouvent tous les deux en octobre 1813 au séminaire Saint-Irénée. Les cours y sont faits en latin, aussi on devine les difficultés du pauvre garçon. Au bout de six mois, on lui dit qu'on ne peut le garder. Quelle souffrance pour Jean-Marie ! Que devenir ? Il pense un moment se faire frère des Ecoles Chrétiennes, mais l'abbé Balley qu'il est venu revoir à Ecully le retient et lui demande de tenter un dernier effort avant de s'arrêter sur le chemin de la prêtrise.

Le Curé d'Ecully et le séminariste se remettent au travail. L'abbé Balley lui consacre la plus grande partie de son temps et ose le présenter aux examens pour les ordres mineurs. Mais, devant les examinateurs, Jean-Marie perd la tête et répond tout de travers, les laissant perplexes sur la décision à prendre. Le curé insiste, obtient la faveur d'un nouvel examen ; cette fois, l'on est très satisfait des réponses du candidat. Consulté, le vicaire général demande :
– « Est-il pieux ?
– Un modèle !
– Eh bien ! je l'appelle, la grâce de Dieu fera le reste. »

Le 2 juillet 1814, Jean-Marie reçoit les ordres mineurs et le sous-diaconat ; il passe la dernière année de son séminaire auprès de son cher curé à Ecully, devient diacre le 23 juin 1815 et, le 9 août de la même année, il se met en route pour Grenoble où, le 13 août, il sera enfin ordonné prêtre. Il est le seul à recevoir le sacerdoce. Mais à ceux qui s'excusent de l'avoir dérangé pour un seul ordinand, l'évêque répond :
– « Ce n'est pas trop de peine pour ordonné un bon prêtre. »

Le voilà donc enfin, à vingt neuf ans -au terme d'un long chemin- malgré tous les obstacles venant de lui, de son père, des circonstances dues à la guerre, Jean-Marie est prêtre grâce à sa mère, grâce au curé d'Ecully, et surtout grâce à Dieu qui l'a soutenu, aidé, guidé à travers tout.
– « Oh ! Que le prêtre est quelque chose de grand », s'écriera-t-il bien souvent.
Le lendemain, le petit berger de Chantemerle montait pour la première fois à l'autel et offrait à Dieu le sacrifice de son Fils, offrant par le Christ toute sa vie au service du Père.

Après avoir célébré la messe à Grenoble, il revient aussitôt à Dardilly où son grand ami lui apprend une bonne nouvelle : il est nommé vicaire à Ecully. Très rapidement, l'abbé Vianney reçoit les pouvoirs de confesser, et le premier qui s'agenouille devant lui est son curé. Tout deux vont vivre ensemble dans la prière, le sacrifice et l'apostolat. Le jeune vicaire n'a rien à lui. Tout est distribué aux pauvres, jusqu'aux vêtements neufs qu'on lui offre et qu'il offre à son tour aux miséreux.
C'est pendant son vicariat à Ecully qu'il voit pour la première fois celle qui devait fonder l'œuvre de la Propagation de la Foi : Pauline Jaricot. La rencontre a lieu dans un salon aux riches tentures et aux fauteuils de soie, où « l'ami des pauvres » se sent mal à l'aise. Mais dès qu'il aperçoit Pauline, modestement vêtue, son attitude change. Le regard grave de la jeune fille, son sourire bienveillant lui font comprendre qu'il se trouve en face d'une âme forte, prête à se consacrer à l'œuvre de Dieu. Une sympathie profonde jaillit entre ses deux âmes d'élite. Le curé d'Ecully ne tarde pas à tomber malade. Un ulcère à la jambe amène une décomposition lente du sang. La gangrène apparaît. Le Curé se confesse une dernière fois à son vicaire, reçoit de lui le viatique, l'extrême-onction, lui donne ses derniers conseils, et meurt dans la paix de Dieu le 17 décembre 1817.
L'abbé Vianney perdait ainsi ce prêtre qui l'avait soutenu et lui avait montré par son exemple la route à suivre pour devenir un prêtre exemplaire.
 
Le 4 février de l'année suivante, l'abbé Vianney reçoit la visite du vicaire général, Monsieur Courbon.
– « Monsieur l'abbé, vous allez quitter Ecully.
– Comme vous voudrez, Monsieur Courbon.
– Oui, vous êtes nommé curé d'Ars, dans les Dombes. Elle n'est pas riche, la paroisse, Monsieur l'abbé. On y aime pas beaucoup le bon Dieu. Vous aurez bien du mal, mais vous y ferez aimer Dieu, n'est-ce pas ? »
Le 9 février, l'abbé Vianney accompagné d'une brave femme, la mère Bibost, qui tiendra son petit ménage, se met en route pour sa nouvelle paroisse.


 
 
le curé d'Ars…
 
Jean-Marie Vianney