le curé d'Ars…

 

 

Comment faire aimer le bon Dieu par tous ses paroissiens ? Tel est le problème qui se pose à notre curé dès son arrivée.
– « Pour L'aimer, » dit-il, « il faut qu'ils Le connaissent. »
Et beaucoup ne le connaissaient pas ! La Révolution était passée par là et bien des jeunes avaient peu fréquenté le catéchisme. Il fallait donc commencer par instruire les enfants.
Mais ceux-ci travaillaient aux champs et devaient garder les bêtes dès l'âge de six ou sept ans. Lui-même ne l'avait-il pas fait autrefois ?
L'abbé Vianney n'hésite pas. Comme les enfants vont à l'école l'hiver, il décide de faire le catéchisme le matin à six heures, mais beaucoup ne savent pas lire, aussi le curé émaille-t-il ses leçons de récits tirés de l'Histoire Sainte et de l'Evangile. A force de les répéter, les petits finissent par les savoir par cœur. et quand ils ne sont pas attentifs, l'abbé les rappelle à l'ordre par une petite tape sur la joue…
– « Oh ! Pas méchante, il était si doux. », racontera plus tard un de ces enfants.
Le catéchisme a lieu tous les jours, aussi les enfants d'Ars finissent-ils par devenir les plus savants de la région en instruction religieuse. En plus, le dimanche, avant les Vêpres, il y a un catéchisme où les grandes personnes peuvent venir. D'années en années, le nombre d'assistants grandit. le curé s'installe dans sa petite chaire, et de là il parle de Dieu à la foule amassée pour l'écouter, et qui va jusqu'à lui dérober son manuel pour avoir un souvenir de lui.
– « Il nous fait vivre Dieu », dira plus tard l'un de ses fidèles auditeurs.

Le sermon du dimanche pose un autre problème. Toute la semaine, l'abbé Vianney pense à ce qu'il va dire aux personnes qui seront là. Il s'installe dans sa sacristie, étudie des livres, va prier devant le maître-autel, revient à la sacristie, et, debout, se met à griffonner des pages et des pages… certains jours il y consacrera sept heures d'affilée, travaillant bien avant dans la nuit pour écrire son sermon.

Reste à l'apprendre et à le donner. Dans la nuit du samedi au dimanche, les passants l'entendent répéter tout haut ce qu'il dira dans quelques heures. Sa mémoire, qui était si rebelle devant le latin, reste aussi défectueuse devant les dizaines de pages écrites pendant la semaine. Quand il n'en peut plus, il s'assied par terre, le dos appuyé à un meuble, et s'endort quelques instants avant de recommencer un travail de mémoire. Malgré tous ses efforts, il lui arrive, quand il se trouve en chaire, de se perdre, de ne plus trouver les phrases à dire. Mais cela ne le décourage pas. Il aime parler du Ciel, de la bonté de Dieu et des efforts que tous doivent faire pour se préparer à entrer un jour au ciel. Le Curé y croit tellement qu'il se met parfois à crier.
– « C'est que, lorsque je prêche, je parle à des sourds », dira-t-il, « mais quand je prie, je parle au bon Dieu qui n'est pas sourd, Lui. »
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Mais il y bien des obstacles pour que les habitants d'Ars puissent vraiment aimer Dieu. Tout d'abord les cabarets. Pour deux cents habitants, Ars en compte quatre. Le dimanche les gens, après avoir travaillé le matin, se mettent « en habits du dimanche » et viennent passer le reste de la journée à jouer et à boire.
« Le cabaret, » disait le curé, « c'est le lieu où les ménages se ruinent, où les santés s'altèrent, où les disputes commencent et où les meurtres se commettent. »
Sans cesse, dans ses sermons, l'abbé Vianney revient là-dessus. Bientôt les cabarets sont désertés. Le patron d'une de ces maisons vient un jour se plaindre qu'il est ruiné. Le curé lui donne de l'argent, et le cabaretier change de métier. Au bout de quelques années, les cabarets sont fermés et remplacés par des hôtels pour les pèlerins. C'est ainsi que, grâce aux efforts du curé, la misère diminua dans le pays, et les disputes cessèrent dans les familles.
 
L'abbé Vianney s'attaque également au travail du dimanche.
– « Ce jour là, » dit-il, « c'est le bien du bon Dieu, c'est son jour à Lui, le jour du Seigneur ! »
Quand il parlait de ce sujet, le curé en avait les larmes aux yeux, car il savait que la plupart de ses paroissiens travaillaient tous les dimanches. Après les Vêpres, il allait souvent faire un tour à travers la campagne, si bien que ceux qui le rencontraient, se trouvaient très gênés d'être pris en flagrant délit de désobéissance à la loi du Seigneur.
C'est ainsi qu'un dimanche, le curé voit venir dans sa direction une voiture de gerbes, mais pas de conducteur ! Celui-ci s'étant caché derrière sa charrette dès qu'il a aperçu le prêtre. Seulement le bon pasteur connaît les chevaux, il appelle l'homme par son nom et lui dit :
– « Mon ami, vous êtes bien attrapé de me trouver là… mais le bon Dieu vous voit toujours…»
Le paysan cessa peu à peu de travailler le dimanche, et l'ensemble de la population fit de même, de sorte que les paroissiens d'Ars purent ainsi se reposer et consacrer ainsi plus de temps à leurs introspection et remise en question…

Une autre habitude contre laquelle le curé d'Ars lutte avec acharnement est le bal. Il sait de combien de péchés le bal -ou les boîtes de nuit- sont l'origine. Il sait que ceux qui fréquentent ces lieux avec assiduité sont rarement capables de générosité. Aussi est-il intransigeant, -et même dur- sur ce point. Un jour de fête, il va sur le chemin à la rencontre du violoneux :
– Combien gagnez-vous pour faire danser ? » lui demande-t-il. Et il lui donne la somme convenue et encore la moitié en plus… et les danseurs attendirent toute la soirée les musiciens qui s'en étaient retrounés chez eux…

Le Curé ne peut supporter le moindre péché :
– « Cela fait tellement de peine à Dieu, » dit-il, le visage douloureux.
Pour éviter le péché, il faut en détruire la cause.
Un jour, il remarque que des maraudeurs viennent dans son jardin à travers la haie vive, et volent les fruits des arbres plantés çà et là. Voler ! il faut empêcher cela. Peu importe, pense l'abbé. Et il fait couper tous les arbres du jardin. Décision héroïque, admirable, même si elle n'est pas à imiter.
Peu à peu Ars se transforme. Les jeunes filles se réunissent souvent pour prier et s'amuser ensemble. Les Hommes, groupés dans la Confrérie du Saint-Sacrement, s'assemblent aussi. Quelques-uns avaient une foi que les persécutions de la révolution n'avaient fait que rendre plus solide. Si bien qu'en 1823, les deux tiers de la paroisse vont en pèlerinage à Fourvière, faisant en barque de Trévoux à Lyon, et montant à pied la colline de Fourvière. Parmi ces hommes, il y en avait un, Louis Chaffangeon, dont le curé aimait à raconter l'histoire au catéchisme.
Un jour qu'il allait à son travail, il était entré dans l'église pour faire sa prière. Un voisin, surpris de ne pas le voir au champ, passe par l'église en s'en retournant chez lui. Louis était toujours là.
– « Que fais-tu là ? » lui demande-t-il tout étonné.
– « Oh ! » répondait Louis, « j'avise le bon Dieu et il M'avise. Autrement dit : je Le regarde et Il me regarde. »
L'abbé Vianney se sent exténué, et demande son changement à l'évêque de Belley. Les habitants d'Ars sont atterrés. Ils vont donc perdre leur Curé. Aussitôt, ils s'entendent entre eux ; une délégation part pour Belley où l'évêque a accepté la demande de l'abbé et l'a nommé à Fareins, une grosse paroisse voisine, plus près des rives de la Saône. Mais cette paroisse est très dure, plus de la moitié des habitants sont hérétiques. Le curé doit se trouver trop faible pour une telle tâche : il refuse le poste. L'évêque n'insiste pas, connaissant bien son homme. L'abbé Vianney restera à Ars. Inutile de dire la joie des habitants qui aiment de plus en plus leur curé. Ils savent bien que lui aussi les aime tous, sans exception. Il s'intéresse à leur vie, s'inquiétant de leur santé, parlant des travaux, des récoltes, content de leurs réussites, souffrant avec eux de leurs difficultés, et leur redonnant courage par son exemple et ses paroles.
– « Il est le bon Pasteur qui connaît toutes ses brebis et les nomme chacune par son prénom. » Et cela lui est d'autant plus facile qu'il a vécu de leur vie durant toute sa jeunesse.
Cependant son apostolat sévère ne va pas sans difficultés. certains se rebellent contre ses exigences, le calomnient, le couvre d'injures, vont jusqu'à placarder des phrases odieuses à la porte du presbytère. Mais les gens sincères le défendent, même les incroyants.
Ne voit-on pas un jour un docteur de Trévoux, Monsieur Thiébault, prendre publiquement la défense du Curé dans un Café où un groupe d'hommes s'amuse à dire du mal de lui ?
Ces mensonges sont d'ailleurs le fait d'un petit nombre. La plupart des paroissiens, au contraire, retrouvent le chemin qui conduit à Dieu. Davantage de justice, davantage d'amour entre les familles, voilà ce que l'on trouve à Ars. L'habitude de la prière en commun se développe dans les foyers, jusqu'à l'époque où, tous les soirs, il y aura une prière à l'église. Dès lors, à la fin de leur journée de travail, hommes et femmes, jeunes et vieux s'acheminent vers l'église pour prier ensemble le Seigneur.


 
 
le curé d'Ars…
 
Jean-Marie Vianney