Vie antérieure

 
Spirite
   

S'il est vrai que ce monde est pour l'homme un exil
Où, ployant sous le faix du labeur dur et vil,
Il expie en pleurant sa vie antérieure,
S'il est vrai que dans une existence meilleure,
Parmi les astres d'or qui roulent dans l'azur,
Il a vécu, formé d'un élément plus pur,
Et qu'il garde un regret de sa splendeur première,
Tu dois venir, enfant, de ce lieu de lumière,
Auquel mon âme a dû naguère appartenir,
Car tu m'en as rendu le vague souvenir ;
Car en t'apercevant, blonde vierge ingénue,
J'ai frémi comme si je t'avais reconnue,
Et lorsque mon regard au fond du tien plongea,
J'ai senti que nous nous étions aimés déjà,
Et depuis ce jour-là, saisi de nostalgie,
Mon rêve au firmament toujours se réfugie,
Voulant y découvrir notre pays natal ;
Et dès que la nuit monte au ciel oriental,
Je cherche du regard dans la voûte lactée,
L'étoile qui, par nous, fut jadis habitée.


                                                               François Coppée

 

 

 
   
 

Vie antérieure

 
Spirite
   

J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux,
Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
Les tout-puissants accords de leur riche musique
Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux.

C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes,
Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs
Et des esclaves nus, tout imprégnés d'odeur,

Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.


                                                              Charles Baudelaire

 

Extraits…

 

 
   
 

Les yeux…

 
Spirite
   


Oh ! qu'ils aient perdu le regard,
Non, non, cela n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'Invisible ;
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
De l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore…

                                                              Sully Prudhomme

 

Extraits…

 

 
   
 


Souvenirs…

 
   


Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize, et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux peints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens…
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue !… et dont je me souviens !


 

Oui, Platon, tu dis vrai ; notre âme est immortelle,
C'est un Dieu qui lui parle, un Dieu qui vit en elle.
Eh ! d'où viendrait sans Lui ce grand pressentiment,
Ce dégoût des faux biens, cette horreur du néant ?

Vers des siècles sans fin je sens que tu m'entraînes,
Du monde et de mes sens, je vais briser les chaînes,
Et m'ouvrir loin d'un corps dans la fange arrêté,
Les portes de la Vie et de l'Eternité.
L'Eternité ! quel mot consolant et terrible !
Ô lumière, ô nuage, ô profondeur horrible !
Que suis-je ? Où suis-je ? Où vais-je ?                                                        Et d'où suis-je tiré ?
Dans quels climats nouveaux, dans quel monde ignoré
Le moment du trépas va-t-il plonger mon être ?
Où sera cet Esprit qui ne peut se connaître ?
Que me préparez-vous, abîmes ténébreux ?
Allons, s'il est un Dieu, Caton doit être heureux.
Il en est un sans doute et je suis son ouvrage,
Lui-même au cœur du juste Il empreint son image.

Il doit venger sa cause et punir les pervers.
Mais comment ? dans quel temps ? et dans quel univers ?
Ici la vertu pleure et l'audace l'opprime ;
L'innocence à genoux y tend la gorge au crime ;
La fortune y domine et tout y suit son char.
Ce globe infortuné fut formé pour César ;

Hâtons-nous de sortir d'une prison funeste ;
Je te verrai sans ombre, ô vérité céleste !
Tu te caches de nous dans nos jours de sommeil ;

Cette vie est un songe et la mort un réveil.


                                                                         Voltaire

 
 


Lettre à Lamartine

 
Spirite
   

Créature d'un jour qui t'agites une heure,
De quoi viens-tu te plaindre et qui te fait gémir ?
Ton âme t'inquiète, et tu crois qu'elle pleure :
Ton âme est immortelle, et tes pleurs vont tarir.
Tu te sens le cœur pris d'un caprice de femme.
Et tu dis qu'il se brise à force de souffrir.
Tu demandes à Dieu de soulager ton âme :
Ton âme est immortelle et ton cœur va guérir.
Le regret d'un instant te trouble et te dévore :
Tu dis que le passé te voile l'avenir.
Ne te plains pas d'hier ; laisse venir l'aurore :
Ton âme est immortelle, et le temps va s'enfuir.
Ton corps est abattu du mal de ta pensée ;
Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir.
Tombe, agenouille-toi, créature insensée :
Ton âme est immortelle et la mort va venir.
Tes os dans le cercueil vont tomber en poussière,
Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr,
Mais non pas ton amour, si ton amour t'est chère :
Ton âme est immortelle, et va s'en souvenir.

                                                                  Alfred de Musset

 
Le pourquoi de la vie…
 


Les derniers vers…

 
   

Il faut laisser maisons & vergers & jardins,
Vaisselles & vaisseaux que l'artisan burine,
Et chanter son obsèque en la façon du Cyne,
Qui chante son trépas sur les bords méandrins.

C'est fait, j'ai dévidé le cours de mes destins,
J'ai vécu, j'ai rendu mon nom assez insigne,
Ma plume vole au ciel pour être quelque signe
Loin des appas mondains qui trompent les plus fins.

Heureux qui ne fut onc, plus heureux qui retourne
En rien comme il était, plus heureux qui séjourne
D'homme fait nouvel ange auprès de Jésus-Christ,

Laissant pourrir çà-bas sa dépouille de boue
Dont le sort, la fortune & le destin se joue,
Franc des liens du corps pour n'être qu'un Esprit.


                                                                  Ronsard