Alan Kardec
et son époque…

 


Le Livre des Esprits…

   
   


Le 25 mars 1856, en son appartement de la rue des Martyrs, Allan Kardec était en train de préparer « Le Livre des esprits » quand il perçut des coups répétés contre la cloison. Il n'en découvrit pas la cause et poursuivit sa tâche. Amélie, rentrant vers dix heures du soir, entendit les mêmes bruits et n'en découvrit pas l'origine.
Le lendemain, au cours d'une séance chez M. Baudin, il en demanda l'explication…

– Allan Kardec : - « Pourriez-vous me dire la cause de ces coups qui se sont fait entendre avec tant de persistance ?… »

– Une Entité : - « C'est ton Esprit familier. »

– Allan Kardec : - « Qui que vous soyez, je vous remercie d'être venu me visiter. Voudriez-vous me dire qui vous êtes ? »

– Vérité : - « Pour toi, je m'appellerai « Vérité », et tous les mois, ici, pendant un quart d'heure, je serai à ta disposition. »

– Allan Kardec : -« Hier, quand vous avez frappé, je travaillais ; aviez-vous quelque chose de particulier à me dire ?… »

– Vérité : - « Ce que tu écrivais me déplaisait et je voulais te faire cesser… »

– Allan Kardec : - « Je n'étais pas moi-même très satisfait de ce chapitre et je l'ai refait aujourd'hui. Est-ce mieux ? »

– Vérité : - « Lis de la troisième à la trentième ligne, et tu reconnaîtras une grave erreur… »

– Kardec : - « J'ai déchiré ce que j'avais fait hier… »

– Vérité : - « N'importe ! Cette déchirure n'empêche pas la faute de subsister. Relis et tu verras… »






Pendant la journée, le laborieux Kardec construit « Le Livre des esprits » et, tard dans la soirée, il consulte les oracles.

[…]

Voici quelques exemples de ces entretiens nocturnes.

 Par médium interposé, Allan Kardec fait la connaissance du médecin allemand Hahnemann, fondateur de l'homéopathie, décédé à Paris, en 1843. le 7 mai 1856, chez M. Roustan, par l'intermédiaire de Mlle Japhet, il pose à Hahnemann la question suivante :

[…]

– Kardec : « La communication donnée l'autre jour semble faire présumer des événements très graves : pourriez-vous nous donner quelques explications à ce sujet ?»

– Hahnemann : - « Nous ne pouvons préciser les faits ; ce que nous pouvons dire, c'est qu'il y aura beaucoup de ruines et de désolations, car les temps prédits pour une rénovation de l'humanité sont arrivés. »

– Kardec : - « Qui causera ces ruines ? Sera-ce un cataclysme ? »

– Hahnemann : - « Il n'y aura point de cataclysme matériel comme vous l'entendez, mais des fléaux de toutes sortes désoleront les nations ; la guerre décimera les peuples - les institutions surannées s'engloutiront dans des flots de sang. Il faut que le vieux monde s'écroule pour ouvrir une ère nouvelle au progrès. »

– Kardec : - « La guerre ne serait donc pas circonscrite à une contrée ? »

– Hahnemann : - « Non, elle embrasera toute la Terre. »

– Kardec : - « Rien cependant, en ce moment, ne semble présager, une tempête prochaine. »

– Hahnemann : - « Les choses tiennent à un fil. »

– Kardec : - « Peut-on, sans indiscrétion, demander d'où partira la première étincelle ? »

– Hahnemann : - « De l'Italie. »

Prédiction exacte concernant la campagne d'Italie de 1859, qui eut pour objet de libérer la Lombardie de la domination autrichienne. Des victoires pour Napoléon III : Montebello, Palestro, Turbigo, Magenta, Solférino ; mais, bouleversé par l'importance de ses pertes en vies humaines.

Henri Dunant avait été, lui aussi, horrifié par l'agonie de tous ces blessés laissés à l'abandon. Pour alerter l'opinion internationale, il publia un livre choc : « Un souvenir de Solférino ». Il fit accepter la convention de Genève et,

en 1863, il fonda la Croix Rouge.

Quant à la guerre qui devait embraser « toute la Terre », c'est au XXe siècle qu'elle devait éclater.

[…]

On y devine, en surimpression, trois grandes couches de catastrophes : la guerre de 1870 suivie de la Commune, et la Première Guerre mondiale préparant la Seconde.






Le 10 juin 1856, séance chez M. Roustan : médium, Melle Japhet.

– Kardec : - « J'ai pensé que, puisque nous avons bientôt fini, la première partie du « Livre des esprits », je pourrais, pour aller au plus vite, prier B… de m'aider comme médium, qu'en pensez-vous ?
– Hahnemann : - « Je pense qu'il vaudrait mieux ne pas t'en servir. Parce que la vérité ne peut être interprétée par le mensonge. »

– Kardec : - Si l'esprit familier de B… est le mensonge, cela n'empêcherait pas un bon Esprit de se communiquer par le médium, du moment qu'on n'évoquerait pas l'autre Esprit. »

– Hahnemann : - « Oui, mais ici le médium aide l'Esprit et lorsque l'esprit est fourbe, il s'y prête. »

Note de Kardec : « Aristo, son interprète, et B… finirent mal. B… était un jeune médium écrivain très docile, mais assisté par un Esprit orgueilleux et arrogant qui prenait le nom d'Aristo ; il flattait en lui un penchant naturel à l'amour-propre. Les prévisions d'Hahnemann se sont réalisées : ce jeune homme ayant cru trouver, dans sa faculté, une source de fortune.
Quelque temps après, on n'entendit plus parler de lui… »






Quand « Le Livre des Esprits » fut terminé, Kardec réunit les quatre amis. Il s'agissait à présent de trouver un éditeur.
– « Eh bien vous, monsieur Didier, »dit Allan Kardec, « n'êtes-vous pas tout indiqué ?»
– « Impossible ! Cet ouvrage n'entre pas dans le cadre de nos collections académiques. Croyez que je suis navré. »
Tous les éditeurs pressentis font, comme lui, assaut de regrets et d'éloges qui ne coûtent rien.
- « C'est bon, dit Allan Kardec, je publierai à mes frais. »
« Le Livre des Esprits », synthèse des réponses de l'Au-delà, parut le 18 avril 1857.






« Le Livre des Esprits» -refusé partout- connaîtra une audience extraordinaire. Il sera réédité cinquante fois en cinquante ans. Il suscitera la vocation de Flammarion, puis celle de Léon Denis et tant d'autres. Il deviendra la bible du spiritisme.






– « Le spiritisme, » expliquait Kardec, « englobe complètement le spiritualisme auquel il faut ajouter les manifestations des Esprits et la croyance en la réincarnation. »
Bientôt traduit dans les principales langues, « Le Livre des Esprits » acquit une audience internationale que son auteur n'avait pas prévue.






Miss Blackwell, la traductrice anglaise de l'heureux auteur, nous apprend que Napoléon III le fit venir plusieurs fois aux Tuileries pour s'entretenir avec lui de ces sujets qui le passionnaient, lui et son épouse. Ce qui n'empêchait pas la police impériale de réglementer, de surveiller, et parfois d'interdire les conférences et les réunions publiques organisées par les Spirites.

C'est par Victorien Sardou que le couple impérial eut connaissance du « Livre des Esprits ». Eugénie appréciait ses talents dramatiques.



 

 

 

 
 
Allan Kardec et son époque…