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L'abbé
Laurentin, connu pour ses prises de position paradoxales
en matière religieuse, s'est, jusqu'à présent
penché essentiellement sur les apparitions et la
vie des saintes comme Bernadette Soubirous ou Catherine
Labouré. Dans son dernier livre : « Le Démon,
mythe ou réalité » il s'attache à
démontrer la présence de Satan dans le monde
contemporain et définit la position de l'Eglise face
au tentateur.
Interview
Le Figaro Une certaine partie de l'Eglise
tend, aujourd'hui, à remettre Satan en question.
Vous insistez sur la réalité du démon
et de son retour. Pourquoi ?
René Laurentin Mon livre détaille
ces mises en question, mais bien pesé, le démon
tient une place incontournable, quoique marginale, dans
la révélation. L'Ancien Testament l'a découvert
à tâtons. Le Christ ne l'a pas seulement enseigné
: le premier miracle de sa carrière en Galilée
est un exorcisme, et ses exorcismes ont fait sa réputation
presque autant que ses miracles. Il distinguait d'ailleurs
fort bien l'un de l'autre contrairement aux confusions qu'on
lui prête. J'analyse aussi ce que fut le combat des
puissances d'en bas contre lui : de la première tentation
au désert, à la dernière sur la Croix.
L'existence du démon s'impose aussi de manière
expérimentale, comme je le précise tout au
long de mon livre. Les polices américaines et allemandes
le connaissent à ce titre ; je cite leurs livres.
J'ai travaillé avec cinquante exorcistes pratiquants
de dix nations qui m'ont demandé d'être leur
théologien. J'ai vu avec quel sérieux, quelles
précautions, quels contrôles, ils exerçaient
pour ne point suggestionner leurs clients. Ils ne voient
pas le diable partout, et j'ai été étonné
(comme eux) de constater la similitude entre les réactions
des possédés d'aujourd'hui et ceux de l'Evangile,
car, dans des cas très rares de possession, le démon
se cache, mais sous la pression de l'exorcisme, ou même
à l'approche de l'Eucharistie -ou d'un flacon d'eau
bénite- il réagit par le possédé
de manière parfois violente qui oblige à prévoir
une aide musclée.
Le Figaro Faut-il identifier Satan
et le Mal ? Ou bien pensez-vous que le Mal soit la conséquence
des actes de Satan ?
L'abbé Le Mal n'est pas grand-chose,
comme beaucoup pensent avec les manichéens, non,
le Mal c'est rien ; c'est un manque, un vide, une carence
qui ampute celui qui en est affecté. Certains théologiens
extrapolent en disant : « le démon, c'est le
Mal, donc ce n'est rien : c'est le néant. »
Mais de même qu'un pécheur dégradé
par le Mal et par sa haine reste une personne humaine, le
démon, ange dégradé pour avoir préféré
son superbe narcissisme à l'amour de Dieu, reste
une personne engagée dans le Mal, la haine et la
destruction : je ne sais que trop comment. On dit parfois
que le démon est un "non-ange", une "non-personne".
Oui, en un sens, car son refus de l'amour de Dieu et sa
haine de Dieu l'ont dégradé en tant que personne.
Son cas est analogue à celui des condamnés
: la société les enferme et pourtant, un des
droits premiers de la personne, c'est la liberté.
On ne leur reconnaît plus ce droit parce que leurs
désordres les en ont plus ou moins privés.
C'est ce qui se passe pour le démon, beaucoup plus
radicalement, puisqu'il est pur Esprit, tout d'une pièce.
J'explique cela dans mon livre : la nature du péché
des anges et les conséquences pour eux et pour le
monde avec lequel ils ont des liens de solidarité.
Le Figaro Pensez-vous que le rock auquel vous
consacrez un long développement soit une forme satanisme
?
L'abbé Le rock, non. Mais il y a eu
des infiltrations sataniques tout à fait intentionnelles.
Plusieurs chanteurs rocks se sont consacrés à
Satan et l'ont célébré [et servi !
N.d.l.r.] de manière occulte ou patente. Ils ont
été parfois payés de grands succès,
mais ont souvent fini leur vie par un suicide, car Satan
n'a pas d'amis, il n'a que des esclaves. J'explique la genèse
de ces infiltrations, leurs manifestations dans leurs chants
: parfois des hymnes sataniques, et dans les actes qui,
dans les cas extrêmes, ont provoqué des hécatombes.
Le Figaro Quelles sont les autres manifestations
du satanisme que vous voyez apparaître dans le monde
d'aujourd'hui ?
L'abbé Baudelaire, au XIXème
siècle, a fort bien décrit sa nouvelle tactique
: « La plus belle ruse du démon, c'est de nous
persuader qu'il n'existe pas. » J'ai tenté
d'analyser cette action secrète sur les structures
culturelles, sociales et autres : la mort de Dieu, l'athéisation,
la matérialisation, la sécularisation qui
ont sévi jusque chez les chrétiens eux-mêmes.
Le succès de cette tactique a été que
le démon semble se dévoiler aujourd'hui. C'est
en 1966 qu'à été fondé -officiellement-
la première « Eglise de Satan », démocratiquement,
aux Etats-Unis et qui a pignon sur rue. Je présente
toute une géographie de ces églises apparemment
modérées et plus gravement, les sectes criminelles.
Telle psychiatre américaine (non pas chrétienne,
mais juive) a soigné des enfants victimes de ces
sectes. Elle se heurtait à des problèmes insolubles.
Un prêtre exorciste les a résolus et elle travaille
régulièrement avec lui
dangereusement.
Au-delà de cette géographie du satanisme,
j'analyse des interférences infiniment plus considérables.
Vous avez mentionné le rock, mais le développement
de la sorcellerie dans certains groupes féministes
radicaux est très significatif ; 10 à 20 %
de nos lycéens s'amusent à des expériences
de tables tournantes ou verres baladeurs qui se déplacent
d'eux-mêmes vers des lettres pour donner réponse
à des questions curieuses. La plupart des éducateurs
considèrent cela comme un passe-temps innocent qui
forme la jeunesse. Mais ceux qui se tournent vers l'occulte
ne savent pas ce qu'ils rencontrent. Moi non plus d'ailleurs.
Mais en plus d'un cas, l'interlocuteur qui accourt au rendez-vous
de ces séances vient d'en bas. Un catéchiste
me disait que les filles et les garçons qui se livrent
à ces pratiques abandonnent toute pratique religieuse,
sinon, toute moralité. [N.d.l.r. - La faute à
qui ?] Je ne les retrouve que lorsqu'il y a de trop
gros dégâts et qu'ils ne savent plus à
quel saint se vouer. [N.d.l.r. - Une chance ! car souvent,
quand de jeunes adolescents vont voir les prêtres,
ceux-ci nient l'Au-delà et ses dangers, parce que
démunis, ils ne savent que répondre ; peut-être
victimes eux aussi d'interférences de ces forces
des ténèbres qui font semblant de ne pas exister
pour mieux agir dans l'ombre
]
Le Figaro Entre le Moyen-Age et notre époque,
Satan a-t-il évolué ?
L'abbé Satan, non ; c'est un pur Esprit.
Un pur Esprit n'évolue pas mais il s'adapte à
l'évolution des hommes. Le mot « diable »
vient du grec diabolos qui signifie : le diviseur.
Le démon a bien des tours dans son sac pour diviser,
à tous niveaux : familles, entreprises, nations,
et même les Eglises. Ses tentations y font lever (avec
nos complicités humaines) la division, la haine,
la guerre, la destruction, les perversions qui désintègrent
l'Homme et la Société. Qui lira mon livre
comprendra que c'est là un mystère non seulement
philosophique, mais concret et quotidien. LA tentation n'est
pas un vain mot.
Le Figaro Avec un tel livre, vous allez inquiéter
?
L'abbé Non, car l'incroyant n'a pas
peur du démon puisqu'il n'y croit pas. Le chrétien
encore moins car le Christ en sort victorieux : Il est le
plus fort.
Le Figaro Pourquoi dites-vous toujours, le
« diable ». N'y en aurait-il qu'un ?
L'abbé Non, ils sont "Légion"
comme dit dans l'Evangile, mais vous-même, comme Baudelaire,
dites « le diable ». C'est un euphémisme
; toutes les langues en invoquent pour évoquer ce
qui apparaît choquant ou redoutable. Je mets cela
en parallèle avec les 100 noms pour désigner
les « lieux d'aisance » ou simplement «
le lieu » (Flaubert). Cela crée des défis
à la grammaire. Dès l'Evangile même,
où la horde démoniaque qui possède
l'énergumène de Genesaneth répond à
Jésus : « Légion est mon nom, car nous
sommes beaucoup et il le suppliait instamment de ne pas
les expulser. » Marc 5.1.
L'étude des démons donne bien des surprises
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