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Paul,
le 13ème apôtre |
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A
propos de secte
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1. Saül, l'enfant de la prière |
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Alphée
marcha vers la couche où gisait le corps de son épouse.
Il découvrit son visage, regarda longuement les traits
si connus que la mort avait détendus. Il baisa le
front de Myriam puis il rabattit doucement le drap mortuaire.
- Veux-tu voir ton fils ? demanda Sarah. Il dort
La servante-parente déposa le petit corps entre les
mains calleuses du tisserand dont la vue se brouilla soudain
d'émotion. Le père contempla avidement le
minuscule enfant au visage encore informe. Au creux du bras
de l'homme, l'enfant ne pesait rien
Yeux clos, il
continuait à dormir, ses petits points serrés.
Avec une infinie délicatesse, la main libre du juif
écarta les linges, caressa le corps tout neuf, déplia
les doigts fragiles et roses comme on déplie un très
vénérable manuscrit.
- Mon fils, mon fils !
[
]
« J'ai contracté avec toi, » dit
l'Eternel, « une alliance immuable, une alliance fondée
sur la justice et la vérité, sur la bonté
et la miséricorde, une alliance cimentée par
ta foi, et tu adoreras l'Eternel. »
[
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2. Tu iras à Jérusalem |
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Mais
voici qu'un jour, alors que Saül atteignait sa quatorzième
année, il entendit :
- Père, apprends-moi la vérité. Comment
se fait-il que les Romains sont les maîtres des Juifs
au pays de nos pères, et que nous, ici, à
Tarse, nous sommes citoyens romains ? Les païens n'observent
pas les commandements de Dieu, et cependant, il ne les châtie
pas. Mais il nous punit, nous. Pourquoi, père, pourquoi ?
- J'ignore pourquoi il en est ainsi, répondit une
nouvelle fois Alphée, qui ajouta : ce n'est
pas à nous, mon enfant, d'interroger Dieu et de discuter
ses décisions que nous devons accepter avec joie
et humilité. Mais les savants hommes de Dieu étudient
ces problèmes qui te troublent et pénètrent
ces mystères
Aimerais-tu, mon enfant, être
comme eux ?
-Oh oui, père !
- Mon fils, j'ai toute ma vie souhaité qu'un de mes
enfants se consacre à l'étude le la Loi et
que mes dernières années soient éclairées
par sa science. Dieu n'a pas permis que d'autres fils me
viennent, mais peut-être veut-il que mon enfant unique
réalise mon souhait.
-Que dois-je faire, père, pour être digne de
la Thora ?
J'ai entendu les sages dirent que la Loi ne s'achète
que très cher. Celui qui veut la conquérir
doit manger du pain sec, boire de l'eau et dormir au sol.
Il doit être le serviteur de son rabbi et se tenir
à ses pieds comme l'esclave devant son seigneur.
Ton maître, mon fils, devra être plus que ton
propre père, car ton père t'a conçu,
mais ton maître te donnera une âme. C'est cela
la Loi
Es-tu prêt, mon enfant, à payer ce prix ?
- Oui, père, je suis prêt.
- Qu'il en soit ainsi. Je vais t'envoyer au grand rabbi
de notre ville. Quand le moment sera venu, tu iras à
Jérusalem.
[
]
Maintenant que Saül quittait la maison natale pour
aller continuer ses études à Jérusalem,
Léah se trouvait dégagée de ses responsabilités
familiales. Elle avait pendant quinze ans -sous ses latitudes,
les filles sont nubiles à douze ans- éconduit
tous ses prétendants. A l'âge de vingt-sept
ans, il aurait pu être trop tard. Heureusement, un
veuf de Jérusalem, Nochée, ami de son père,
l'avait demandé en mariage.
[
]
Saül allait rester onze ans à Jérusalem,
séparé de son père qu'il ne verrait
plus qu'à l'occasion de la Pâque
A la recherche de la vérité, Saül se
jeta avec acharnement sur les textes sacrés de la
Thora, prenant sur son sommeil pour étudier encore
plus. A quel moment aurait-il pu se divertir comme Simon
ou tant d'autres. Il n'existait pour lui que l'Ecriture,
et nul sourire de fille, nulle invite ne pouvait l'en détourner
un instant. C'est pourquoi, après onze années
de séjour au pays de ses pères, Saül
restait célibataire
Ces
onze ans d'étude accomplis, Saül fut nommé
scribe à Tarse ; nommé dans sa propre ville !
Cette décision du Sanhédrin l'honorait grandement
car il est rare qu'un docteur de la Loi commençât
sa carrière publique dans son pays natal et non dans
une bourgade perdue. Seul Gamaliel, son rabbi, avait élevé
quelques objections à cette nomination à cause
même de son intolérance
A vingt-six ans révolus, Saül, de retour à
Tarse représentait l'autorité du Sanhédrin.
C'est là qu'il entendit parler d'un certain Galiléen
appelé Jésus.
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3. Malheur à la race corrompue ! |
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Siméon,
après avoir demandé des nouvelles des gens
qu'il connaissait à Tarse parla de ses voyages. Et
il arriva au sujet qui lui tenait à cur :
- As-tu entendu parler de Jésus, ce Galiléen
qui fait des miracles ?
L'orfèvre se rembrunit.
- Que trop ! Et c'est un sujet qu'il vaut mieux ne pas aborder
à Tarse si tu ne veux pas encourir la colère
de Saül, notre scribe.
- Saül ? J'ai entendu parler de lui, à Jérusalem.
On m'a dit que c'était un homme très saint
et très savant.
- Et très énergique ! Un marchand de pourpre
que je connais a voulu lui parler de ce Galiléen,
qui se dit le Messie d'Israël, ressuscite les morts
et remet les péchés. Saül l'a frappé
au visage en lui disant : « Ne blasphème
pas ! L'as-tu vu ? Vu de tes yeux ? » L'autre
dut convenir que non. Alors Saül lui a dit, devant
nous tous : « Rappelle-toi : il est écrit
que nombreux sont les faux prophètes au royaume des
crédules. Et Israël est devenu plus crédule
qu'une femme, parce qu'il s'est détourné du
Très-Haut. Devant tous les malheurs qui nous accablent,
nous nous tournons vers les idoles ou vers le premier menteur,
le premier charlatan comme ce Jésus dont tu me rebats
les oreilles. Vends tes étoffes et laisse ces ragots
aux vieilles femmes. »
- Mais Azel
- Des bruits ont continué à courir, chacun
rapportant ce qu'il avait entendu dire. Mais penses-tu,
Saül est mieux informé que nous tous !
Le Sanhédrin lui envoie des messages ! Ainsi a-t-il
pu nous annoncer à la synagogue que ce Jésus
est un imposteur et un blasphémateur qui s'entoure
de déguenillés et de mendiants ; qu'il peut
bien se proclamer fils de David, ce n'est pas un homme dangereux
pour l'ordre, ni pour la foi.
- Mais je l'ai vu, moi ! Mène-moi au scribe,
il faut que je lui dise !
Azel secoua la tête.
- A ta place, je ne lui en parlerai pas !
- Pourquoi ? Quel mal y a-t-il à faire part de ce
qu'on a vu ?
Ils quittèrent le khan. Siméon s'inquiéta :
- Mais ce n'est pas le chemin de la synagogue !
- Non, nous allons rue des Tisserands. Saül n'est jamais
à la synagogue à cette heure. On le trouve
à l'atelier d'Alphée, son père, en
train de travailler au métier.
- Travailler ? Le scribe ?
- Il n'accepte aucune prébende, il travaille pour
ne pas être à la charge de son père.
C'est un saint homme, te dis-je ! Tiens, voici la maison
d'Alphée. Entrons !
Au
milieu des ouvriers, on remarquait tout de suite le scribe
Siméon se sentit tout à coup moins sûr
de lui. Après les salutations traditionnelles, il
lui dit :
- Ce que je vais te dire, Saül, j'en ai été
témoin direct
C'était pendant mon séjour
à Jérusalem
Comme il est ordonné
de faire, j'étais allé au Temple afin d'y
sacrifier. Arrivèrent alors ce Jésus et ses
disciples, entourés d'une foule de petites gens.
Le Galiléen pénétra dans le Temple,
et soudain la vue des marchands le mit en colère.
Il renversa les tables des changeurs et les tréteaux
des marchands de colombes, puis il se saisit d'un fouet
et les chassa tous du Temple qu'il déclara interdit
à tout homme portant un fardeau. Il enseigna alors
à ceux qui l'entouraient, disant : « N'est-il
pas écrit que la maison de Dieu sera appelée
une maison de prière par toutes les nations ? Vous
en avez fait une caverne de voleurs ! ».
Des aveugles et des boiteux s'approchèrent alors
de lui, et il les guérit
Je te le dis, Saül, j'ai vu de mes yeux les boiteux
rejeter leurs béquilles et marcher comme toi et moi
Des prêtres s'indignèrent à la vue de
ces prodiges et parce que les enfants criaient dans le Temple :
« Hosanna au fils de David ! »,
ils dirent au Galiléen : « N'entends-tu
pas ce qu'ils disent ? Ils t'appellent fils de David ».
Jésus leur a répondu en souriant : « J'entends.
Mais vous, prêtres, n'avez-vous pas lu : c'est
par la bouche des enfants que vous m'avez tressé
une louange ? » Et il quitta le Temple par
la porte Dorée
Voilà ce que j'ai entendu
et vu
et je suis troublé
Saül laissa exploser la colère qu'il avait su
un moment contenir :
- Homme de peu de foi ! tonna-t-il. Rappelle-toi ce que
dit Ezéchiel : « C'est moi qui suis le
Seigneur, votre Dieu ; marchez dans la voie de mes préceptes,
révérez mes ordonnances et gardez-les »
Tu entends ? Révérez mes ordonnances !
Gardez-les ! Crois-tu être fidèle à
ton Dieu en te tournant vers les faux prophètes comme
la girouette tourne au vent ? Crois-tu que le malin
soit incapable de faire des miracles pour mieux abuser et
perdre les faibles comme toi et ceux qui suivent ce Galiléen ?
Et d'ailleurs, imbécile, qui te dit que ces boiteux
n'étaient pas de faux boiteux et que ces aveugles
n'étaient pas de faux aveugles ? Il ne manque
pas de charlatans en Israël, ni d'hommes capables de
citer les Ecritures.
Après
le départ précipité de ses deux visiteurs,
Saül marcha de long en large, maudissant la crédulité
des hommes.
Les enfants s'élancèrent, mais il rappela
le plus éveillé d'entre eux :
- Va à la synagogue porter un message. Tu diras aux
rabbins que Saül le scribe, l'envoyé du Sanhédrin,
y prendra la parole demain sur un sujet important. Qu'ils
veillent à ce que chacun soit prévenu et vienne !
La
grande synagogue était bondée, tous les Juifs
de Tarse étaient là. Beaucoup s'interrogeaient
sur le motif de cette convocation, qui était en soi
un événement
Saül parut. Bien vite, sa voix courroucée fit
se courber les têtes et passer un désagréable
frisson sur les échines. Nul ne reconnaissait le
jeune et aimable scribe dans cet homme violent
- « Malheur à la nation pécheresse !
Malheur au peuple chargé d'iniquités !
malheur à la race corrompue ! Malheur aux enfants
méchants et scélérats ! Malheur
à vous qui avez abandonné le Seigneur !
Car, Seigneur, tu as rejeté la maison de Jacob parce
que ses fils sont remplis de superstitions ».
Ainsi parlait Isaïe. Et sa prophétie commence
à s'accomplir
Partout les hommes courbent la
tête sous les maux qui les accablent, et aujourd'hui,
un faux prophète se lève en Israël, et
nombreux sont les insensés qui, ayant perdu la crainte
de Dieu, se joignent à lui dans l'espoir d'un "gain"
qu'ils ne méritent pas et que Dieu leur refuse
Ecoutez , Juifs de Tarse, ce que vous dit par ma voix le
grand Sanhédrin : « Malheur, trois
fois malheur à celui qui écoutera les blasphémateurs !
Malheur, trois fois malheur à celui qui suivra les
imposteurs ! Celui-là sera rejeté d'Israël,
lui et les siens, car il aura brisé l'Alliance ».
Et moi, Saül, je vous crie : hommes de Tarse, gardez
le chemin de la foi, écoutez la voix de vos prêtres
et de vos scribes qui sont les seuls et vrais gardiens de
la Loi
Obéissez, priez et craignez le Très-Haut
Malheur à la nation pécheresse ! Malheur
au peuple chargé d'iniquités ! Malheur
à la race corrompue ! Malheur ! Malheur !
Les Tarsiotes retenaient leur souffle, les yeux fixés
au sol, n'osant relever la tête de crainte de rencontrer
le regard brûlant et accusateur de Saül. Et lorsque
le scribe se tut, lorsque le fouet cessa de claquer sur
leur conscience, les hommes quittèrent la maison
de Dieu, lentement, comme un troupeau terrifié.
Pendant quelque temps, le représentant du Sanhédrin
continua à tonner contre les faibles et les impies
qui se tournaient vers les idoles et les charlatans, les
blasphémateurs et les imposteurs comme le faux messie
galiléen. Si bien que les quelques âmes égarées
rejoignirent le giron d'Israël, honteuses et repentantes.
Jamais on ne vit de communauté de la Diaspora animée
d'une foi aussi orthodoxe : les synagogues étaient
pleines, les dîmes furent versées en temps
utile, les dons et les sacrifices augmentèrent notablement.
- Sais-tu, Saül, que Jean le Baptiste
- Tu veux dire Iokanaan, le fou ?
- Oui, il a été décapité à
la demande de Salomé, la fille d'Hérode.
- La fille incestueuse d'Hérode
Et toujours ce Galiléen
- Il a ressuscité Lazare de Béthanie !
- Il a calmé la tempête : les vagues se sont
arrêtées au son de sa voix !
- A Jéricho, un aveugle a recouvré la vue !
Saül ricanait :
- Toujours des pauvres, toujours des mendiants ! Ne
voyez-vous pas que ce charlatan, ce révolutionnaire
ne s'attache que ceux qui souhaitent le plus la révolution
: la lie du peuple ?
- Détrompe-toi, Saül, expliqua un pèlerin,
j'ai entendu parler d'un collecteur d'impôts, un publicain
du nom de Lévi
Autre chose : à Jéricho,
Jésus est descendu chez le plus riche des publicains,
Zachée, et celui-ci, se faisant son disciple, a distribué
sa fortune aux pauvres.
- Fortune obtenue par l'exaction et la prévarication,
répliqua Saül. Ce riche a eu peur, c'est tout.
Saül commença à être prodigieusement
agacé par ces rumeurs. Mais un message du Sanhédrin
lui permit de répondre aux mauvais Juifs qui se faisaient
les propagateurs de l'imposture, et qui n'étaient
que trop écoutés :
-Votre Jésus est un dangereux agitateur ! Il
se vante de détruire le Temple et de le rebâtir
en trois jours ! Il annonce la destruction de Jérusalem !
Et il se proclame roi des Juifs ! Le grand prêtre
Anne a décidé de briser net les menées
révolutionnaires de ce Nazaréen.
De fait, Hérode lui-même, inquiet de la réaction
de Rome, pressait le Sanhédrin d'agir contre le fauteur
de trouble.
Malgré ces nouvelles réconfortantes, Saül
ne cessa de tonner contre l'hérésie et le
relâchement des murs, et pour avoir des renseignements
plus précis sur ce Jésus de Nazareth, il s'adressa
à ses cousins Andronique, Junias et Hérodion
qui se rendaient à Jérusalem. Il avait confiance
en leur solide bon sens et en leur foi rigoureuse.
- Agissez en fils du peuple élu, leur recommanda-t-il.
Allez sacrifier au Temple ainsi que vous l'ordonne la loi
de Moïse. Lorsque la Pâque sera passée,
rendez visite à Etienne de Samarie que vous trouvez
auprès de mon rabbi Gamaliel. Saluez-le de ma part
et interrogez-le afin qu'il vous dise tout ce qu'il sait
de l'agitateur Jésus et des siens. Priez également
mon rabbi de vous dire ce qu'il pense de la gravité
des événements.
-Nous ferons ce que tu demandes, dit Andronique
[
]
Environ trois semaines après la Pâque, un messager
se présenta à Saül.
- Jésus, le Galiléen est mort, lui annonça-t-il
en lui tendant l'étui de cuir contenant le courrier
du Sanhédrin.
- Quoi ? Donne !
Saül déroula le parchemin et lut avidement.
- Ainsi, il a été arrêté, jugé
et crucifié ! Mais
Mais
des faits
troublants lors de l'exécution ? Que veulent-ils
dire ? Le sais-tu ?
- Je n'étais pas à Jérusalem ce jour-là,
répondit l'homme aussi je ne puis que rapporter ce
que mes amis m'ont dit mes amis
l'exécution
a eu lieu la veille de la Pâque, près de la
porte d'Ephraïm, en un lieu qu'on appelle Golgotha.
C'est le procurateur Ponce Pilate qui a prononcé
la sentence puisque ce Jésus avait insulté
César. Vers la troisième heure, il y aurait
eu à Jérusalem un tremblement de terre, des
tombeaux se seraient ouverts, la ville aurait été
plongée dans les ténèbres pendant quelques
instants et le voile du Temple se serait déchiré.
- Les tremblements de terre ne sont pas rares en Palestine,
remarqua Saül. De toute façon, lorsque la tête
est tombée, les membres pourrissent d'eux-mêmes.
La secte du Nazaréen est désormais finie puisque
son chef est mort, crucifié comme un voleur.
Et Saül, réconforté pas ces excellentes
nouvelles s'en alla enseigner son cours en public. Il s'étonnait
bien que ses cousins ne fussent pas rentrés de Jérusalem,
mais connaissant le sort du Galiléen, leur retard
n'avait guère d'importance.
Au sabbat suivant, Saül ne manqua pas de montrer combien
était vaine l'ambition humaine et misérable
sa folie devant la grandeur de Dieu :
- Voilà un homme, dit-il en substance, un homme de
chair et de sang qui s'est dit le messie d'Israël.
Ce faisant, il s'est opposé aux enseignements de
Moïse. Peut-être ce Juif était-il sincère,
peut-être croyait-il réellement être
le messie annoncé par les prophètes. Nous
savons bien que tout mâle en Israël peut être
le Messie. Le Très-Haut ne l'aurait pas frappé
de sa juste colère s'il s'était contenté
de proclamer sa folie, car notre Dieu ne peut qu'éprouver
de la pitié pour le Juif dont la cervelle est dérangée
Mais cet homme a fait des conquêtes parmi les âmes
faibles et la lie du peuple, il a détourné
les enfants d'Israël du droit chemin et de la face
de Yahvé. Devenu criminel et blasphémateur,
il a créé des troubles, s'est proclamé
"fils de David", "roi des juifs", il
a rejeté la loi d'Abraham et de Moïse et a prétendu
détruire le Temple de Salomon. Alors la colère
du Très-Haut a éclaté et le faux messie
a été jugé et crucifié. Voilà
ou mène l'ambition des hommes.
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4. L'accusateur |
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Quelques
semaines plus tard, Saül reçut la visite de
ses cousins de retour d'Israël.
- Etienne de Samarie t'adresse son salut et son amitié,
dit Andronique.
- Alors, que vous a dit Etienne ?
Que pense-t-il
de ce criminel galiléen ? Sa secte présente-t-elle
encore un danger quelconque pour Israël ?
Allons, parlez ! ajouta-t-il en percevant leur hésitation.
Les trois hommes s'entre-regardèrent, indécis.
Enfin, Hérodion répondit à Saül
:
- Etienne
croit que
Jésus de Nazareth
est le vrai Messie.
Saül sursauta.
- Quoi ? Etienne croit cela ? Impossible !
-
Et nous le croyons également ! affirma
Hérodion en le fixant droit dans les yeux. Nous croyons
que Jésus est le Messie
- Etait, ironisa Saül.
- Non, Saül, je dis bien « est » le Messie,
car Jésus qui a été crucifié
la veille des Azymes, est ressuscité d'entre les
morts.
Saül se mit à rire comme il n'avait pas ri depuis
longtemps. Il n'arrivait plus à articuler un mot
tant il était secoué de hoquets. La nouvelle
que ces trois imbéciles lui rapportaient avec tant
de sérieux était trop drôle, trop inattendue
: Jésus, le crucifié, ressuscité !
Mais Andronique, Junias et Hérodion ne riaient pas,
eux. Ils contemplaient leur parent avec, dans le regard,
un monde de pitié et de douleur.
- Qu'avez-vous à me regarder ? Pensez-vous me
circonvenir comme Etienne vous a gagné à la
cause de ce charlatan ? Puis éclatant :
- Hors de ma vue, mauvais Juifs, fils du diable, blasphémateurs !
Vous souillez la demeure du juste ! Son regard se fit plus
acéré et il ajouta d'une voix dangereusement
douce :
- Et si vous répandez vos hérésies,
je vous fais lapider par le peuple. Qu'ainsi périssent
les blasphémateurs !
- Voici un message du Sanhédrin.
- Donne
Et maintenant, sortez !
Bouillonnant d'une colère contenue, le scribe sortit
de l'étui le parchemin aux armes du Sanhédrin
et lut la lettre de ses supérieurs qui lui intimaient
l'ordre de se mettre en route pour Jérusalem. Il
devait rejoindre la ville en empruntant la voie de terre,
s'arrêter dans les communautés afin de relever
le zèle du peuple élu et lui redonner confiance
en son Créateur.
Il constata un peu partout, même dans le désert,
que les Juifs avaient déjà entendu parler
de la secte des nazaréens, ainsi qu'on la nommait.
On se chuchotait les miracles de Jésus et de ses
disciples, on rapportait des bribes de son enseignement.
Au fils des jours, la colère ne cessait de gronder
dans le cur du scribe, sa haine de s'enfler pour cette
secte. Plus que jamais, il avait hâte de rejoindre
Jérusalem afin de se rendre compte de la propagation
de l'hérésie.
Le Galiléen était mort depuis une année
déjà, mais Saül avait pu se rendre compte
que la secte n'était pas éteinte, loin de
là.
A Jérusalem, Saül descendit naturellement dans
la maison de Jacob pour lequel il avait un message de son
père. Jacob se faisait vieux. Seul depuis la mort
de son épouse, il se fit pourtant un honneur de préparer
un repas de bienvenue et d'inviter quelques amis. Mais certains
changements intriguèrent Saül :
- Je ne vois pas ton fils Simon, bon Jacob, ni Zaddoc
- Saül ! Que n'ai-je un fils comme toi
Je n'ai
plus d'enfant du nom de Simon
Il a renié la
foi de ses pères et écouté les paroles
mensongères d'Etienne de Samarie. Zébée,
le porteur d'eau a également suivi le Samaritain,
et son fils Zaddoc, et Philippe le prophète et ses
quatre filles
Et bien d'autres encore
J'ai tellement
honte que je n'aspire plus qu'au jour où il plaira
au Seigneur, de me rappeler.
Saül sentit une tenaille lui serrer le cur :
Simon, le doux et léger Simon ! Le sage Zébée !
Philippe et ses filles qui avaient aussi le don de prophétie !
oh, la secte était bien plus dangereuse qu'il ne
l'avait pensé ! Etienne, gronda-t-il en lui-même,
Etienne, prends garde ! Il te faudra payer pour le
mal que tu fais aux enfants de Moïse
Andronique
Junias
Hérodion
Simon
Zébée
Zaddoc
Philippe
C'est trop, Etienne de Samarie,
c'est beaucoup trop ! Ta mort seule peut racheter leur
péché !
Comme jadis, rabbi Gamaliel arriva très tard. Lui
aussi avait beaucoup changé : il ne semblait plus
posséder cette assurance, cette certitude qui donnait
tant de poids à ses paroles. Ce soir il semblait
particulièrement troublé.
- Le Sanhédrin jugeait aujourd'hui les disciples
du Nazaréen. C'est la cause de mon retard. Saül
tressaillit. Ainsi, c'est par son révéré
rabbi qu'il allait être renseigné sur ces maudits.
Son maître ne pouvait se tromper, lui.
- On dit qu'Elie les a libérés de la prison.
Est-ce vrai, rabbi ?
- Il y a deux jours, le grand prêtre et son parti
de Sadducéens ont fait arrêter Simon, fils
de Jonas, qu'on appelle aussi Pierre, et tous ses compagnons.
Ils ont été enfermés dans la prison
publique. Ce matin, ils n'étaient plus dans leurs
cachots ! Et nul ne peut dire comment cela s'est fait, car
les disciples du Crucifié étaient enchaînés
et gardés par des lévites et non par les gardiens
habituels dont Caïphe, le grand prêtre, se méfie.
Et malgré ces précautions, ils ont quitté
la prison sans que nul ne les voie
: Les serviteurs
du grand prêtre sont revenus en disant : « Nous
avons trouvé la prison soigneusement fermée
et les gardes à leur poste. Mais quand nous avons
fait ouvrir les cachots, ceux-ci étaient vides !
»
- Ceux que vous avez jetés en prison, les voilà
à nouveau dans le Temple qui enseignent le peuple ! »
Le commandant du Temple s'est alors rendu sur le parvis
des Gentils avec des gardes et les a fait amener dans la
salle Gazith.
Anne, l'ancien grand prêtre, les a interrogés :
« nous vous avons fait défense d'enseigner
au nom de Jésus et vous remplissez tout Jésuralem
de votre doctrine ! Vous prétendez faire retomber
sur nous le sang de cet homme ! » A quoi Simon-Pierre
a répondu : « Il vaut mieux obéir
à Dieu qu'aux hommes. Le Dieu de nos pères
a ressuscité Jésus que les Romains ont tué
à votre instigation en le suspendant au bois. Lui,
le Sauveur, Dieu l'a exalté pour donner à
Israël le repentir et la rémission de ses péchés.
Nous, nous sommes témoins de ces choses, nous et
le Saint-Esprit que le Seigneur a donné à
ceux qui les suivent. » Voilà ce qu'à
répondu celui qu'on nomme Pierre et que les autres
suivent. Alors les pontifes, les anciens et les scribes
sont entrés dans une grande colère et ils
décidèrent de mettre à mort les disciples
de Jésus
Mais moi, Gamaliel, docteur de la
Loi, je suis intervenu.
Saül, le front plissé par l'attention, buvait
littéralement les explications de son rabbi, comme
jadis à l'école du Temple.
- Nos sages me connaissent, reprit Gamaliel, et ils ont
fait sortir les accusés ainsi que je le demandais.
J'ai dit alors au conseil : « Israélites,
prenez garde à ce que vous allez décider à
l'égard de ces hommes. Rappelez-vous, il y a quelque
temps déjà parut Theudas qui se donnait pour
un personnage. Lorsqu'il fut mis à mort, tous ses
adeptes furent dispersés et anéantis. Après
lui vint Juda, le Galiléen qui parut sous Quirinus
et qui entraîna le peuple à sa suite. Il périt
à son tour et tous ces disciples furent dispersés
Voici le conseil que je vous donne : ne vous occupez
plus de ces hommes et laissez tranquilles. Si ce dessin
ou cet ouvrage vient des hommes, il tombera de lui-même.
Mais s'il vient de Dieu, vous ne saurez en avoir raison
et vous risquez de vous en prendre à Dieu
»
Le Sanhédrin s'est finalement rangé à
mon avis et s'est contenté de leur faire donner les
trente-neuf coups de fouets
Dieu désire qu'on
vienne à lui de plein gré et non comme un
esclave qu'on force.
Tous les convives restèrent silencieux après
les paroles du rabbi.
Saül frémissait d'indignation et de colère ;
tout son être grinçait et grondait. Seuls la
courtoisie et le respect qu'il éprouvait encore pour
son maître, le retenaient de crier sa désapprobation
pour sa tolérance envers les nazaréens. Il
ne comprenait pas comment cet homme de Dieu, son maître
en la Thora, pouvait seulement envisager la volonté
du Très-Haut dans l'uvre maudite de la secte.
N'y tenant plus, il se leva brusquement. Jacob, étonné,
le regarda.
- Pardonne mon incivilité, noble ami de mon père,
mais je dois me rendre sans tarder auprès du Sanhédrin.
- A cette heure ?
- Maintenant ! Après ce que je viens d'entendre de
mon vénérable rabbi, mon opinion s'est confirmée.
Les nazaréens sont infiniment plus dangereux que
ne le furent Theudas et Juda. Il faut les tuer tous !
Les assistants frémirent à la sauvagerie de
sa voix.
- Es-tu certain, fils d'Alphée, de ne pas vouloir
t'opposer au dessein de Dieu ? demanda Gamaliel.
- Oui, et tous les vrais Israélites doivent lutter
contre ces impies et ces blasphémateurs.
Le vieux rabbi soupira :
- Alors, tu es bien heureux d'avoir en toi une telle certitude
Moi, je ne sais pas. Je préfère m'en remettre
à la volonté du Seigneur quant au sort de
ces hommes.
- Dieu a donné sa loi aux hommes et il appartient
aux hommes de la faire respecter. Les nazaréens s'élèvent
contre la loi de Moïse et le Temple de l'Eternel :
Ils doivent mourir. Adieu.
Les membres du Sanhédrin ne s'étaient pas
encore dispersés lorsque Saül demanda à
être introduit auprès du conseil. C'est que
la discussion était vive depuis le départ
de Gamaliel. Pontifes et anciens disputaient depuis deux
heures sur l'opportunité de la décision prise
à l'égard des disciples de Jésus.
Sur ces entrefaites, Saül fut introduit dans la salle
Gazith. Chacun écouté attentivement l'exposé
de son action en Cilicie et de son voyage d'inspection.
Il répondit clairement aux nombreuses questions des
conseillers. Puis on en vint évidemment au problème
des nazaréens.
- Es-tu au fait, demanda Caïphe, de ce qui s'est passé
ici même aujourd'hui ?
- C'est pour cela que je me suis présenté
à vous, en dépit de l'heure tardive. J'ai
entendu mon rabbi, le pieux Gamaliel, raconter son intervention
en faveur de ces hommes et je ne comprends pas sa tolérance
contraire aux lois de notre peuple.
- Quel est ton avis, Saül ? Tu es jeune, il est vrai,
mais nous saluons tous ta sagesse et ta science. Dis-nous
ce que tu conseillerais.
- La mort ! Il faut arrêter les chefs du mouvement,
les juger et les châtier sans retard. Plus ils parlent
haut, plus sévère doit être la loi.
Qu'ils soient jugés et lapidés !
- Tu n'ignores pas, intervint un docteur, qu'il est difficile
de dresser contre eux un acte d'accusation valable
Saül balaya l'objection
- J'ai compris cela, mais Israël ne manque pas de docteurs,
que je sache !
Caïphe posa la question que chacun attendait :
- Te sens-tu capable d'instruire leur procès, Saül
de Tarse ?
- Si le Sanhédrin m'en donnait l'ordre, je le ferais !
On fit sortir Saül pour délibérer. La
fermeté du Tarsiote avait fait impression et une
majorité se dessina rapidement en sa faveur. Le grand
prêtre Caïphe fit revenir Saül, se leva
et dit :
- Saül de Tarse, docteur de la loi, le Sanhédrin
te nomme accusateur avec les pleins pouvoirs en Israël
et dans les communautés de la Diaspora. Nous t'ordonnons
d'instruire le procès des nazaréens et de
les poursuivre devant le tribunal. Le Sanhédrin t'ordonne
d'entamer la lutte sans retard
»
Saül s'inclina. chargé à présent
d'une terrible mission, il prit congé. Il n'était
plus question de retourner chez Jacob. Il pensa à
l'un de ses anciens compagnons d'études : Joseph.
Il alla donc lui demander de l'héberger.
- Tu peux rester ici tant que tu veux, Saül
Mais Saül trouva étrange l'attitude de son ami.
Joseph paraissait à la foi exalté et réticent,
comme un homme qui cache en lui un lourd secret. Craignant
qu'il eût quelque ennui et n'osât pas lui en
parler, le Silicien le pressa habilement de questions
- Tu sais, Il est ressuscité !
Saül bondit comme mordu par une vipère :
- Encore ce Jésus ?
- Oui, frère, Jésus de Nazareth
une
foule de gens l'ont vu.
- Ce ne sont que des démons qui parlent en son nom !
Joseph secoua la tête.
- Non, je t'assure. On l'a vu ici même. Ses disciples
sont restés dans la ville. Ils prophétisent,
s'expriment dans toutes les langues, guérissent les
malades comme Jésus l'a fait avant eux
Quant
à moi, Saül, je penche à croire que Jésus
était l'envoyé du Très-Haut.
- Assez, Chypriote impie ! rugit Saül. Fils de l'île
païenne, malédiction sur toi ! Tu crois
en ce bandit qui insultait les serviteurs de la Loi et la
Loi elle-même. Tu crois en ce faux messie qui est
mort comme un voleur ! Alors sache que je suis chargé
officiellement de détruire cette secte et d'extirper
le mal
Et s'il le faut, je ferai mourir une seconde
fois votre crucifié !
Bousculant violemment Joseph tétanisé par
la stupeur et la crainte, Saül bondit hors de sa maison,
ivre de rage, prêt à tuer de ses propres mains
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5. Au lieu ordinaire des lapidations
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Dans
la salle où il avait élu domicile, sous la
chambre du conseil, Saül lisait un des nombreux rapports
qui lui parvenaient. Les nouvelles étaient alarmantes
: les Juifs de la Diaspora, d'esprit plus ouvert que les
judaïsant, se joignaient en masse à la nouvelle
secte. Israël était en danger, et l'acharnement
de Saül à détruire ce fléau ne
faisait que croître.
Un des gardes que le Sanhédrin avait mis à
sa disposition entra et lui dit :
- Il y a là un homme qui désire te parler,
scribe, au sujet des nazaréens.
- Alors, fait le entrer.
Le garde hésita.
- C'est que, je sais qui il est
c'est un individu
peu recommandable
Une sorte de matelot grec qui était
en prison il y a peu de temps
- Et alors ? S'il peut m'apprendre quelque chose sur ces
hérétiques, il est le bienvenu. Fais-le entrer !
- Merci de l'écouter, scribe, commença-t-il
d'un ton servile, je suis né à Hélos,
et je me nomme
- Peu importe ton nom ! Qu'as-tu à me dire ?
- Eh bien, voilà : quand j'étais en prison,
un de mes compagnons de cellule m'a parlé de Jésus
J'ai feint de l'écouter avec intérêt,
et comme il savait que je serais libéré, il
m'a donné le nom et l'adresse d'un de ses amis qui
pourrait m'instruire
avec qui il correspondait grâce
à la complicité d'un geôlier dont je
sais aussi le nom
Le regard de Saül se mit à briller.
- Excellent. Tu donneras ces renseignements à l'homme
qui t'a fait entrer.
- Mais je pensais
si j'allais chez son ami me faire
instruire, je pourrais savoir qui s'y rend aussi
Cependant,
continuait l'homme, comme je n'ai pas de quoi payer mon
logeur, je vais devoir m'embarquer pour
- Tais-toi !
Saül avait compris. Et ses dernières hésitations
étaient balayées : devant la gravité
de la situation, son but ne justifiait-il pas de tels moyens ?
Un renseignement livré par cupidité est toujours
aussi utile qu'une information donnée par fidélité.
Il appela le garde :
- Tu verseras à cet homme la somme qu'il demande,
et tu noteras ce qu'il te dira.
Il réfléchit un moment et dit au Grec :
- Si tu trouves d'autres hommes pour faire ce travail, tu
ne le regretteras pas. Mais
au moins, si tu veux abuser
les nazaréens, lave-toi !
Le garde emmena le matelot et revint peu après.
- J'envoie le geôlier au cachot ? demanda-t-il. Ça
ne le changerait guère !
- Non, ordonna Saül. Plus d'arrestation jusqu'à
nouvel ordre ! Les autres se terreraient.
- Doit-on suspendre celles qui sont prévues ?
- Inutile, laissons les choses suivre leurs cours. Mais
ensuite, nous attendrons de les connaître tous pour
les arrêter d'un seul coup ! Avec une poignée
d'agents comme ce Grec, infiltrés dans les rangs
de ces maudits, nous en saurons plus qu'avec une armée
d'enquêteurs. Je sais, c'est de la racaille, un ramassis
d'incroyants
mais qu'importe l'outil pour la gloire
du Seigneur ?
De fait, les rapports affluèrent. Convaincu de son
bon droit, Saül s'engagea à fond dans la voie
ouverte par le Grec, engagea des espions et des sbires,
suscita et loua de faux témoins. Devant l'ampleur
de la catastrophe, rien n'arrêtait plus l'accusateur
du Sanhédrin : les Apôtres auraient converti
plus de quatre mille personnes rien qu'à Jérusalem
! Une foule sans cesse accrue s'agglomérait autour
des hommes de Jésus, se constituant en une véritable
communauté. Et quand Saül trouvait un nom connu
dans une liste de convertis, il le ressentait comme une
injure personnelle. Un rapport surtout excita sa rage :
parmi les riches Israélites qui vendaient leurs biens
en faveur de la secte, il lut le nom de Joseph, le lévite
de Chypre ; celui-ci venait de vendre une belle terre
qu'il possédait et d'en porter le prix aux Apôtres
de Jésus.
Et il poursuivit sa tâche, tissant son filet, maille
à maille. Mais un jour, sa haine eut raison de sa
logique et lui fit commettre une faute irréparable
Le garde venait de lui remettre les rapports de quelques
espions ainsi que de nouvelles listes.
- Le Grec est là, dit-il à Saül et demande
à te voir.
- Emporte ces documents et dis-lui d'entrer.
- Alors ?
- J'ai interrogé quelques prisonniers. L'un d'eux
est l'élève d'un certain Etienne de Samarie.
Saül bondit. Etienne de Samarie ! Celui qu'il haïssait
entre tous ! Le responsable de la trahison de tant de parents
et d'amis : il oublia les Apôtres, il oublia
son coup de filet et ne se préoccupa plus que de
son ennemi intime.
- Mène-moi à cet homme !
- C'est qu'il est dans un triste état, il a fallu
le fouetter longtemps pour
Mais déjà Saül était sorti, courant
presque. Le Grec haussa les épaules et s'élança
pour le rattraper.
- C'est lui, dit le Grec.
Le bourreau les prévint :
- Il est évanoui.
- Eh bien, ranime-le ! s'impatienta Saül. Allez chercher
de l'eau !
Le Grec saisit le malheureux par les cheveux et lui hurla
au visage :
- Etienne de Samarie ! Où peut-on le trouver ?
Pas de réponse. Sur un signe du Grec, le bourreau
se remit à abattre ses verges sur la chair sanglante.
A chaque coup, l'homme criait : « Seigneur ! ».
Sentant la victime faiblir, le Grec fit arrêter la
flagellation et lui donna à boire.
- Parle ! Et le médecin s'occupera de toi.
Comme l'homme se taisait
- C'est bon, tu l'auras voulu !
Et au bourreau :
- Vas-y !
Le nazaréen supplia : Non ! Par pitié !
- Alors dis-nous où on peut trouver Etienne
- A la synagogue
des
Affranchis
Le Grec lâcha enfin la tête du supplicié
qui marmonna encore quelques paroles.
- Que dit-il ? demanda Saül
- Oh, rien
Qu'ils nous pardonnent
Ils disent
tous çà !
Saül
n'avait plus qu'à appliquer le plan qu'il avait préparé
depuis longtemps. Il fit dire aux membres du Sanhédrin
de se réunir sans délai et se rendit lui-même
à la synagogue avec un groupe de gardes. C'était
le jour du Sabbat, jour de prière en Israël.
Dans la maison de Dieu, les hommes se pressaient sur les
bancs les épaules recouvertes du tallith brodé
qui attestait leur qualité de Juif et leur donnait
le droit de parler devant l'assemblée des fidèles.
[
]
Dans la synagogue silencieuse, chacun avait écouté
avec respect le psaume familier. Etienne se recueillit et
prêcha :
- Il y a bien longtemps que parla notre père David.
Bien-aimé du Très-Haut, il connut les signes
qui devaient annoncer la venue du Messie appelé à
sauver le peuple élu, il eut connaissance du sort
que les "aveugles" d'Israël réservaient
à l'agneau de Dieu dans l'obscurité de leurs
curs, et il annonça à tous
Sachez,
frères, que la prophétie s'est accomplie.
Oui, le Messie est venu parmi nous et Israël l'a mis
à mort comme il était écrit. Car les
paroles du roi David s'appliquent à Jésus
qui a été traîné au supplice
par ceux de notre nation, après qu'il eût été
abreuvé d'outrages
Il y a seulement deux années,
le Messie d'Israël fut mis en croix comme un voleur.
Sur le bois d'infamie, il a été moqué
et ses pieds et ses mains ont été percés
de clous ainsi que l'annonçait David, notre père.
Ses os ont été mis à nu par le fouet
et les verges, et les soldats de César se sont partagés
ses vêtements et ont joué sa robe aux dés.
Ainsi parlait le roi David ; ainsi est mort le Messie !
Mais l'Eternel a glorifié Jésus en le ressuscitant
d'entre les morts
Je ne parle pas, frères,
d'une époque révolue, d'événements
des confins de la Terre
Aujourd'hui, il vous faut
croire que le Messie promis à la postérité
d'Abraham est bien ce Jésus qui a été
crucifié
Frères, croyez en lui et vous
serez sauvés du péché et de la mort !
Venez écouter ceux qui furent les compagnons du Messie
et recevoir son enseignement, car nul ne sera justifié
en Israël qui ne croira en lui.
L'assistance, saisie d'une visible émotion, déjà
penchait à suivre ce jeune homme inspiré car
la mort ignominieuse du Nazaréen était terriblement
présente à la mémoire de ces pharisiens
et les progrès de la secte étaient suivis
avec beaucoup d'attention. Mais Saül, ivre d'indignation,
ne contenait plus sa haine pour ce Jésus qui, par
la voix de ses disciples, faisait courir à la loi
de Moïse, un danger chaque jour plus menaçant.
Il fit signe à ses sbires qui s'élancèrent
vers Etienne, l'entourèrent, le lièrent. Et
sur la foule pétrifiée par la clameur sauvage
de l'inquisiteur :
- Saisissez-le ! Portez-le aux juges qui l'attendent depuis
trop longtemps. Nous ne voulons rien connaître de
ce séducteur du peuple justement condamné
par nos chefs et nos maîtres ! Quant à vous,
hommes à la foi vacillante, trois fois malheur sur
vous si vous suivez les encouragements de cet homme ! Son
maître n'était qu'un imposteur ! Le fils de
Dieu ? Si Dieu était son père, l'aurait-il
laissé mourir sur la croix comme le bandit qu'il
était ? Rentrez chez vous, mauvais Juifs ! Terrez-vous
au fond de vos maisons et tremblez que le Sanhédrin
ne vienne vous demander des comptes ! Sortez !
Tandis
que l'assistance terrorisée se déversait rapidement
dans les rues, tandis que les quelques nazaréens
présents se hâtaient de propager la nouvelle
de l'arrestation d'Etienne, Saül regagna le Temple
où le Sanhédrin se trouvait dans la salle
populaire
Mais la nouvelle du procès d'un nazaréen
l'avait déjà précédé
et, aux abords du Temple, il dut jouer des coudes pour se
frayer un passage. Appelant les gardes, il fit dégager
le pont du Xystus malgré les vociférations
de la foule.
- Jetez-en quelques-uns au cachot, ordonna-t-il et fouettez
ceux qui protestent. L'ordre fit courir un frisson de terreur
et le calme se rétablit rapidement, non sans quelques
horions généreusement distribués par
les gardes du Temple.
Ce
jour, dans l'assistance, se trouvaient deux amis d'Etienne,
deux hommes que Saül n'avait jamais vu mais dont les
noms lui étaient devenus familiers : Simon-Pierre
et un adolescent de dix-sept ou dix-huit ans, Jean. Avertis
de l'arrestation du Samaritain, ils étaient accourus
afin que le prisonnier ne fût pas seul au milieu de
ses ennemis et qu'il eût le réconfort de leur
présence. A ce moment, Pierre regardait attentivement
l'homme qui conversait avec Caïphe et quelques conseillers.
Il le vit mieux lorsqu'il descendit les marches et alla
se planter devant les juges, presque à côté
du prisonnier. Sans le moindre effort, avant même
d'avoir parlé, il dominait les magistrats et le peuple.
L'acte d'accusation était près depuis quelques
semaines, n'attendant que l'accusé. Saül le
lut d'une voix profonde et vibrante. En maître de
la Loi, il savait admirablement tirer parti des périodes
de l'araméen et donner à son discours, un
ton dramatique. Nul vol, nul meurtre dans cet acte ; seulement
des blasphèmes contre le Dieu d'Israël et ses
prophètes. Un magistrat romain eût éclaté
de rire à l'énoncé de telles charges,
mais l'attitude des juges juifs et du public montrait assez
que ces accusations pesaient lourd au regard de la loi de
Moïse.
Sa lecture terminée, Saül fit comparaître
devant les pontifes et les docteurs, une série de
témoins tous admirablement préparés
qui récitèrent leur leçon sans trébucher
ni hésiter sur un seul mot de leur déposition.
Un Cyrénéen affirma :
- Je l'ai entendu prêcher à la Synagogue des
Affranchis et dire que la Loi n'était plus valable
et que seuls ceux qui suivaient les préceptes du
crucifié étaient de bons Juifs.
Et celui que Saül avait gardé pour la fin :
- Etienne de Samarie a prêché que son maître
reviendrait sur terre et régnerait à la place
de César !
Il y eut un instant de stupeur et un mouvement d'épouvante
agita les rangs des juges. Bien mené par les sbires
de Saül, le public éclata en imprécations
et en menaces. Pierre se pencha vers son jeune compagnon,
dit dans un souffle :
- Saül est terrible, il a coupé l'herbe sous
le pied de ceux qui, comme Gamaliel, auraient été
tentés d'acquitter notre frère.
- Etienne est donc condamné ?
- Il est perdu. Après cette accusation, le relaxer
serait une insulte à César.
A nouveau, le procureur imposa le silence dans l'hémicycle
puis il se retourna vers le prisonnier qui, depuis le début
des débats, était resté indifférent,
regardant l'invisible
- Qu'en penses-tu, Etienne e Samarie ?
Le prisonnier ainsi interpellé parut sortir d'un
rêve. Il regarda Saül
Dans son regard,
nulle colère, nulle supplication. Le mince sourire
qui détendit ses traits exprimait plutôt la
compassion. Saül répéta sa question :
- Qu'en penses-tu, Etienne de Samarie ?
Alors Etienne se leva et contempla longuement ses juges.
Se référant à la tradition biblique
et aux prophètes, il démontra que le Messie
annoncé par les Ecritures devait souffrir et mourir,
que la rédemption promise par Dieu ne pouvait se
faire dans la gloire et la fortune mais bien par le rachat
des âmes. IL expliqua aux pontifes glacés que
Jésus, le crucifié du Golgotha, s'identifiait
avec le serviteur de Yahvé annoncé par Isaïe.
Dans sa polémique, Etienne attaqua toute l'interprétation
de la loi judaïque :
- La Loi et le Temple ne sont que les étapes passagères
dans l'ordre du salut qui s'étend aussi bien dans
le passé que dans l'avenir et les dépasse
largement.
En entendant ainsi parler du caractère provisoire
de la Loi, tout l'hémicycle se dressa sur les travées.
Tous, juges et peuple, se sentirent atteints au point le
plus sensible. Le tribunal se transforma en champ de foire,
les hurlements éclatèrent, les poings se tendirent
et le grand prêtre Caïphe eut beaucoup de mal
à rétablir un semblant de calme dans le prétoire.
Un fanatique se précipita sur le prisonnier et lui
cracha au visage. Etienne, sans un mouvement pour essayer
son visage, l'interpella :
- Pourquoi crachez-vous sur moi, vous autres pharisiens ?
Vous vous réclamez de la Loi, mais vous êtes
vaniteux, compassés et votre nuque est raide. Et
vous continuez à résister, dans vos oreilles
et dans vos curs, à la voix de l'Esprit-Saint
comme l'ont toujours fait vos pères. Quel prophète
Israël n'a-t-il pas persécuté ?
Vos pères, pharisiens bornés, n'ont-ils pas
tué tous ceux qui annonçaient la venue du
Messie ? Je vous le répète, quel est
celui d'entre les prophètes que vous n'avez pas poursuivi
de votre haine aveugle ? Vos pères ont assassiné
ceux qui prédisaient la venue du Messie, comme Hérode
l'a fait pour Jean-le-Baptiste. Ils refusèrent le
Juste, ce Juste que vous avez trahi et dont vous êtes
les meurtriers, vous qui avez reçu la Loi par le
ministère des anges et ne l'avez pas gardée
Toi, Caïphe, vous, les docteurs, vous avez tué
le Messie et vous vous êtes réjouis de son
agonie, sans même vous rendre compte qu'ainsi vous
accomplissiez les prophéties.
S'entendant
accuser de la sorte, le grand prêtre et le Sanhédrin
se levèrent blêmes de colère, et les
murmures de la foule massée au-delà des portes
se fondirent en un grondement de pleine gorge semblable
à la clameur rauque du fauve avide de sang. Les gardes
durent croiser les lances et pointer les fers pour interdire
l'entrée du prétoire aux Juifs fous de haine.
Au milieu de ce vacarme insensé, Saül souriant
d'une joie mauvaise, leva la main pour réclamer le
silence et l'obtint rapidement tant était grande
la crainte que la plèbe juive ressentait devant cet
accusateur. D'une voix terrible, levant haut le Livre de
la Loi, il clama :
- Ecoutez, juges, la parole du Deutéronome :
« Maudit quiconque est pendu au bois ! Maudits
les faux prophètes et ceux qui les servent !
Maudit celui qui détourne un seul enfant d'Israël
de la face de Dieu ! » Juges, il est encore
écrit : « Ne vous laissez point aller
à des discours et que la compassion ne vous porte
point à l'épargner. Mais tuez-le aussitôt !
Que votre main lui porte le premier coup et que tout le
peuple le frappe ensuite. Qu'il périsse accablé
de pierres, parce qu'il a voulu vous arracher du culte du
Seigneur, notre Dieu ! »
Un silence de mort succéda à l'éclat
du scribe, et beaucoup baissèrent la tête qui
hurlait tout à l'heure. Saül adressa un regard
à Caïphe et dans un bruissement de robes, les
juges du Sanhédrin suivirent leur grand prêtre
dans la salle des Libérations.
Simon-Pierre dit à Jean :
- De grandes persécutions nous attendent, frère.
Dès aujourd'hui, nous devons quitter nos maisons
et changer nos lieux de prières. Telle est la volonté
de Dieu. N'aie pas de colère contre Saül et
pense au pardon du Seigneur : « Père,
pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. »
Mais déjà, les deux douzaines de juges réintégraient
en file solennelle, la salle du tribunal. Chaque membre
du Sanhédrin reprit sa place, les traits figés,
regardant droit devant lui
- Etienne de Samarie est reconnu coupable d'avoir enfreint
les lois d'Israël, coupable d'avoir blasphémé
contre le Tout-Puissant en son Temple
coupable d'avoir
propagé l'hérésie, coupable d'avoir
détourné des brebis de la face de Dieu
en vertu des lois d'Israël, et ainsi qu'il est ordonné
au Deutéronome, chapitre 17, Etienne de Samarie est
condamné à périr par lapidation.
Cette fois ce fut un long cri de satisfaction et d'enthousiasme
qui jaillit. Malgré les gardes, des hommes se jetèrent
sur le condamné et l'entraînèrent sur
le parvis des Gentils où les Juifs, venus de toutes
les synagogues de Jérusalem dans l'attente du verdict,
rivalisèrent d'injures. Des crachats innombrables
souillèrent le visage et la robe d'Etienne dont les
lèvres tuméfiées murmuraient une prière
Les soldats du Temple, un instant débordés
par la populace, revinrent en force, dégagèrent
le condamné, et suivis de Saül, l'entraînèrent
par les ruelles tortueuses de la ville haute, vers la porte
de Damas d'où partaient les routes de Césarée
et de Samarie.
Le lieu ordinaire des lapidations se trouvait en effet hors
des murs, sous la muraille nord de la ville. Comme le voulait
la coutume, deux gardes arrachèrent la robe du prisonnier
et le poussèrent brutalement dans la fosse. Etienne
chuta lourdement, mais ne cria pas. Il s'agenouilla et leva
son doux visage vers le ciel
Au bord de la fosse,
la foule haineuse le dominait, les mains déjà
armées de pierres. On ne voyait nulle femme parmi
les bourreaux, rien que des hommes au visage défigurés
par la colère et la folie meurtrière. Au premier
rang, bras croisés, Saül regardait sa victime
dont la chair nacrée tranchait sur la sombre terre
de Judée. IL se tourna vers les témoins qui
déposèrent leurs manteaux à ses pieds
pour être plus libres de leurs mouvements.
- Jetez les pierres ! ordonna-t-il. Et les premières
pierres furent lancées. Sous le choc, Etienne tomba
à la renverse, atrocement blessé déjà.
IL cria :
- Jésus, Jésus, reçoit mon esprit !
Selon le chapitre 17 du Deutéronome, c'était
maintenant au peuple de lancer les pierres. Les projectiles
fusèrent dans les cris d'une joie cruelle. On visait
au cur et au visage, et le sang du martyr coulait
sur la terre bénie de Jérusalem. Etienne poussa
son dernier cri :
- Jésus, ne leur impute pas ce pêché !
Il
sombra dans l'inconscience et la bienheureuse mort vint
le prendre et le délivrer de la torture. Ses membres
se détendirent et l'impact des pierres changea de
sonorité
Saül
leva les deux bras au ciel, arrêtant les hommes dans
leur besogne criminelle : la Loi interdisant de frapper
un corps sans vie. Cadavre, le supplicié était
abandonné aux rapaces ou aux âmes charitables
s'il s'en trouvait.
Ainsi fut fait, et la foule se dispersa soudain silencieuse
et lasse.
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6. Sur le chemin de Damas
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De
la nuit, Saül de Tarse ne put dormir. A l'aube, en
proie à un malaise indéfinissable, Saül
se dressa sur son lit, passant une main lasse sur ses yeux
rougis par l'insomnie
- Dieu ! Pourquoi aurais-je des remords ? Ce que je
fais est juste, c'est ce que doit faire tout serviteur de
la Loi. Ce qui me trouble, c'est l'image de ce fou d'Etienne
Mais aussi, pourquoi n'a-t-il pas eu peur lorsque je l'accusais
? Pourquoi n'a-t-il pas tremblé à l'annonce
de son destin ? Et là-bas, dans la fosse, il
n'a pas crié, n'a pas gémi, pas supplié
il n'a pas tenté de se débattre
Qu'a-t-il
dit dans la fosse ?
Je me souviens, il a dit
: « reçois mon esprit » Oh
! Etienne, pauvre fou qui t'es laissé prendre à
la magie blasphématoire de ces nazaréens ;
espérais-tu que ton Jésus te sauverait quand
il n'a pu se délivrer lui-même ? Mais
oui, il le croyait comme ils le croient tous. C'est pour
cela que la mort ne les effraie pas : ils espèrent.
Saül sauta sur ses pieds et arpenta sa chambre :
- C'est là que réside le danger ! Dans
cette espérance de résurrection
Pharisien,
je crois moi-même à la résurrection
Voilà la ruse démoniaque de ce charpentier
: il a enflammé en chacun le désir d'une autre
vie
Saül, ivre de colère, tendit le poing vers le
Golgotha invisible dans la brume du matin :
- Crucifié ! Que ta prière même devienne
un crime pour avoir trompé et détourné
les enfants d'Israël !
A compter de ce jour, Saül parut pris comme une fringale
de sang et de souffrance. Par tous les moyens, il chercha
à abattre la secte maudite du Nazaréen. Rarement
on vit haine plus persévérante, plus enragée,
plus méthodique. Saül revoyait Etienne dans
la gloire du martyre, son visage irradiant une lumière
surnaturelle ; il le revoyait mourant, avec sur les lèvres
un pardon à son adresse. Et de cela, Jésus
était responsable. Et de cela, Saül devait préserver
les enfants de la race élue. Débordant d'amertume,
il engagea alors un duel sans merci avec l'ombre du crucifié,
se jurant que le Nazaréen n'aurait pas la victoire,
se jurant même d'étouffer jusqu'à son
souvenir !
A
son domicile, ce ne furent plus désormais qu'allées
et venues de sbires et d'espions qui s'inclinaient craintivement
devant lui avant de faire leur rapport :
- J'ai de quoi compléter nos listes de nazaréens
et sympathisants ; je connais deux nouveaux lieux de
réunion.
- Et Pierre ? Les Apôtres ?
- Ils ont quitté leurs domiciles et on ne les voit
plus dans
- Où sont-ils ? hurla Saül.
- On pense qu'ils ont quitté Jérusalem
depuis le procès du Samaritain, ils ne se montrent
plus.
Saül ne répondit pas. Bien sûr, c'était
de sa faute.
- J'ai entendu dire sûr le port, risqua le Grec enhardi
par le silence du scribe, que les nazaréens pratiquaient
les sacrifices humains ! Un marchand de bois m'a affirmé
qu'ils se livraient à la Sodomie. Hier soir, un nazaréen
a été lapidé par la foule
- Les gardes sont intervenus ?
- Non, j'y ai veillé. Ils étaient prévenus
et sont arrivés quand tout était fini.
Le Tarsiote exhiba un manuscrit.
- Tiens, prends cet ordre et rends-toi à la prison.
Les cachots sont pleins, et on ne sait plus où mettre
les nazaréens ; tu feras sortir tous les autres prisonniers
pour faire de la place.
- Et où faut-il les mettre ?
- Qu'ils aillent où ils voudront ! Libère-les !
Parmi ceux qui sortent, vois s'il y en a qui peuvent nous
servir
Saül disposait, outre les prêtres, les gardiens
du Temple, les geôliers et les bourreaux, d'une armée
sans cesse grandissante d'espions et de provocateurs. Les
calomnies les plus ignobles circulaient, habilement propagées,
les passions politiques, les jalousies, les haines furent
patiemment exacerbées et une vague de terreur roula
dans les bas quartiers de la ville : agressions, perquisitions,
enlèvements matraquages et aveux arrachés
par la torture
Mais Saül trouva chez ses victimes ce qui manquait
précisément à son âme : la joie,
l'assurance, la conviction heureuse. Chaque jour, et plusieurs
fois par jour, il constata chez les martyrs, cette expression
qu'il avait remarquée chez Etienne, cette douceur,
ce bonheur intime que la loi de Moïse n'avait jamais
offerts aux enfants d'Israël : c'était comme
la certitude d'aller à la vie, et non à la
mort
- Il n'y a plus un nazaréen à Jérusalem,
dit un jour le Grec. Ils sont tous partis
- Il faudra donc aller les chercher là où
ils se trouvent. Le sais-tu ?
- Un peu partout : Joppé, Samarie, Antioche
même Chypre, mais beaucoup, mille, peut-être
deux mille, seraient à Damas. Il fallait s'y attendre.
Assez éloignée pour que les disciples de Jésus
s'y sentissent en sécurité, c'était
une ville accueillante aux Juifs où, depuis le temps
du roi Achab, une très importante colonie israélite
s'était développée
Il se représenta Damas comme une cité soudainement
envahie par les nazaréens ; la foi de milliers de
Juifs pieux menacée
- J'irai à Damas, décida Saül.
Un
matin, dès l'ouverture de la porte de Damas, on vit
sortir de la ville sainte, une forte troupe de cavaliers
: Saül nanti des pleins pouvoirs du Sanhédrin
et une trentaine de sbires. Le Tarsiote détourna
vivement les yeux de la fosse, à droite de la porte.
Etienne ne se laissait pas oublier
Même pour
une troupe bien montée comme celle du procureur,
le voyage à Damas exigeait une bonne semaine par
la route la plus courte, celle qui passe par la Samarie.
Saül était trop pressé pour faire un
détour de plusieurs jours
Quel merveilleux voyage cela aurait pu être, hors
les conditions dans lesquelles il était entrepris
! [
] Saül, le procureur du Sanhédrin ne
semblait guère apprécier, ni même remarquer
la nature environnante. Son intelligence, sa sensibilité
étaient uniquement centrées sur le spirituel.
Son intérêt se portait sur les sujets d'ordre
religieux et psychologique : l'homme l'attirait bien davantage
que la nature. Et avant tout, c'était le Tout-Puissant
qui était l'axe de sa pensée. D'ailleurs,
en ces jours, il s'interdisait d'être distrait par
quelque sujet que ce fût, seule importait sa tâche
: extirper du peuple d'Israël, le chancre nazaréen.
[
]
Oui, Saül luttait, refusait, rejetait tout aspect purement
mystique d'un sauveur d'Israël. La crucifixion infamante
prouvait à ses yeux que Jésus de Nazareth
était un faux messie, un parmi tant d'autres, seulement
plus dangereux parce que, lui, avait été au
bout de sa folie. Et ses partisans n'étaient que
des menteurs, des fauteurs de troubles. N'y avait-il pas
des païens parmi eux ? L'idée d'une fraternité
possible entre Juifs et incirconcis lui était abominable.
Pour l'heure, les chefs d'Israël, seuls juges, l'envoyaient
à Damas, et il chevauchait depuis déjà
cinq jours. Dans les plis de sa robe, les mandats d'arrêt
contre les nazaréens de la ville et les pouvoirs
spéciaux qui lui donnaient toute autorité.
Là était la loi de Moïse, là était
la vérité !
Depuis
un moment, Saül souffrait des yeux. Harassé,
écrasé de chaleur, une seule idée dominait
en lui : arriver enfin au Khan, se plonger dans un bain,
dormir. Le pas des chevaux le berçait étrangement.
Tout alors arriva.
Un éclair frappa le sol devant sa monture et l'animal
affolé se cabra si brutalement que son cavalier désarçonné
tomba lourdement à terre. Une lumière parut
exploser autour du procureur, jetant à terre à
leur tout les hommes de Saül dont les chevaux s'enfuirent.
Saül, hébété, se secoua. Alors
se produisit un phénomène prodigieux, incompréhensible
: un arc enflammé se referma sur lui, alors qu'il
se redressait déjà
Devant Saül
se dessina un visage qu'il reconnut en son âme :
celui du maître d'Etienne, du Crucifié
Un regard le pénétra sous lequel il eût
voulu fermer les yeux, un regard tendre et douloureux, doux
et sévère à la fois. Soudain, Saül
entendit une voix qui l'interpellait dans la sainte langue
de ses pères :
- Saül ! Saül ! Pourquoi me pourchasses-tu ?
Comme une plainte de souffrance, la question le pénétra
lentement ; sa raison se refusait à admettre ce que
ses sens, ce que son âme lui avaient déjà
révéla. Il sentit son esprit se rebeller contre
cette connaissance nouvelle.
- Qui es-tu ? Qui es-tu maître ? demanda-t-il.
- Je suis Jésus que tu persécutes.
Le nom fatal était prononcé. Saül sut
que sa cause était perdue
Une souffrance infinie
le transperça : douleurs réelles de l'enfantement
spirituel, remords pour l'aveuglement passé, constat
de son échec
- Saül, il t'est dur de regimber contre l'aiguillon.
Le doux reproche du Maître persécuté
le vainquit définitivement, le courba irrésistiblement
face contre terre, abandonné enfin
Alors, dans
l'âme de l'homme prosterné, toute amertume
disparut, emporté par le flot de la connaissance
et de la foi. Une force mystérieuse le pénétra,
lui infusa une vie nouvelle
Saül sentit qu'il
accédait à un monde nouveau
ce fut en
Saül une capitulation totale de l'esprit
l'assujettissement
de tout son être à la volonté de Jésus.
Saül se dressa. Loin de lui et de l'arc enflammé,
ses assassins se serraient l'un contre l'autre, terrifiés
par cette lumière et cette voix qu'ils entendaient
sans la comprendre
Seigneur, que dois-je faire ? murmura Saül.
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7. Saül, disciple de Jésus
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-
Lève-toi et pénètre dans la cité
comme tu en avais l'intention. On te dira là ce que
tu dois faire.
L'arc de feu disparut, emportant la face de Jésus.
Saül se redressa et ouvrit les yeux. Mais il ne vit
rien.
Il était aveugle.
Le voilà bien, debout, impuissant, lui, l'homme redoutable
et redouté, le procureur du Sanhédrin
Le patron du Khan, un Juif nommé Judas, gras et rond,
s'empressa auprès de ce Seigneur si magnifiquement
escorté. Mais Saül se fit mener à une
chambre, refusant tout ce que lui proposait l'aubergiste.
Il voulait être seul.
Et pendant que le bruit se répandait dans le quartier
juif de l'arrivée du procureur et du but de son voyage,
Saül resta fermé. Pendant trois jours et trois
nuits, il fut comme mort au monde extérieur, interdisant
toute visite, refusant toute nourriture. Trois jours et
trois nuits : il fallut ce temps au docteur de la Loi pour
déblayer les ruines de ces conceptions antérieures.
Qui pourra jamais dire l'affreux désarroi, la tempête
qui déferla sur son esprit pendant ces trois jours ?
L'infirmité
dont il souffrait si mystérieusement fut très
vite connue de tous à Damas. Les disciples de Jésus,
affolés par la présence de leur bourreau,
se demandèrent si ce n'était pas là
une punition voulue par le Seigneur. Les chefs de la Synagogue
s'empressèrent au Khan, mais l'hôte les renvoya
:
- IL ne mange, ni ne boit. Il prie
Un visiteur ne fut pas refoulé par Judas : un
réfugié de Jérusalem nommé Ananie
demanda à voir le procureur et -inexplicablement-
l'aubergiste le laissa passer
Tremblant à l'idée de se trouver en face du
terrible persécuteur, Ananie pénétra
dans la chambre. L'ennemi était là, visage
ravagé, prostré sur une natte, perdu dans
ses pensées. Domptant sa crainte, obéissant
à une voix intérieure, le nazaréen
s'avança, hésita, osa poser une main compatissante
sur la tête de l'aveugle :
- Qui es-tu ?
- Ananie de Jérusalem
Jésus m'a ordonné
de te joindre sans délai
Le Seigneur m'a dit :
« Va le trouver. Cet homme est l'instrument que
j'ai choisi pour proclamer mon nom parmi les Gentils, devant
les rois et les enfants d'Israël
»
[
] Tu seras son témoin devant tous les hommes
Maintenant, que tardes-tu ? Lève-toi, sois baptisé
et lavé de tes péchés en invoquant
son nom.
Paul
avait reçu le baptême de l'esprit
Paul,
avec étonnement, sentit un être nouveau s'épanouir
et ses préjugés tombèrent comme des
écailles
Le choc de l'événement
n'avait fait que briser la carapace du vieil homme et lui
donner connaissance de la vérité ; le baptême
arracha le cocon de l'ignorance pour libérer l'homme
nouveau, l'homme lige de Jésus.
Les
nazaréens de Damas reçurent ce nouveau frère
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Paul
ou les aventures du 13ème apôtre
auteur
: Claude Charmes
Editions
Baudinières.
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