le curé d'Ars…

 

 

Jean-Marie se met résolument au travail, juste au moment où la persécution prend fin par le coup d'état du 18 Brumaire et l'avènement de Bonaparte au pouvoir. Les travaux sont variés : labourer la terre, piocher, déchaumer, tailler la vigne, gauler les noix ou les pommes, soigner les bêtes, faire les foins, la moisson, la vendange… travaux pénibles pour un gars de 13 ans ; mais Jean-Marie est plein de courage, et, quand il n'en peut plus, il lance un regard vers Ecully où il sait que Jésus est là, toujours présent dans le tabernacle. – « Que c'est beau d'offrir ses souffrances à Dieu, » dira-t-il souvent plus tard à ses paroissiens. Et Jean-Marie travaille avec ardeur. Un jour, il part pour la vigne avec son frère aîné. Mais il a beau avancer, se hâter, rien à faire, celui-ci va plus vite. Il rentre le soir, éreinté, épuisé d'avoir voulu suivre François.
– « Bah ! » dit le grand frère, « que diraient les gens si Jean-Marie qui est plus jeune en faisait autant que moi qui suis son aîné ? »
Ayant reçu le lendemain une statuette de la Vierge, il s'en retourne travailler avec François. Il reprend son rang dans la vigne, baise la statue et la lance devant lui aussi loin qu'il peut. Puis il commence à piocher avec ardeur jusqu'au moment où il à rejoint la statue. Il recommence alors son geste, et ainsi toute la journée, si bien que le soir il rentre tout joyeux à la ferme.
– « Aujourd'hui, dit-il, j'ai pu suivre François et je ne suis pas fatigué. »
Il continue à travailler ainsi, en silence, louant Dieu à travers toutes ses créatures.

Entre temps, le Concordat est signé entre le Premier Consul Bonaparte et le Souverain Pontife. L'Eglise retrouve enfin la paix après dix années de troubles. L'abbé Rey, ancien curé de Dardilly, revient d'exil et reprend sa place au village. Quelle joie pour Jean-Marie de pouvoir aller prier dans l'église de sa paroisse ! Bien souvent, il y passe, soit le matin avant d'aller aux champs, soit l'après-midi quand la cloche appelle les gens pour la prière ou une « bénédiction ».

 
Jean-Marie n'allait plus au catéchisme depuis sa première communion, mais il brûlait de connaître d'avantage le Christ et son Message. Aussi, dans l'étable où il couche, installe-t-il un rayon sur lequel il dépose des livres, parmi lesquels l'Evangile et l'Imitation de Jésus-Christ. Le soir, après ses harassantes journées de travail, il prend l'un d'eux et se met à lire et à prier, faiblement éclairé par une chandelle de résine. Sagement, sa mère lui demande de veiller moins tard. Jean-Marie obéit, mais cela ne l'empêche pas de réfléchir. De plus en plus fort, il sent grandir en lui le désir d'être prêtre, il vit le « suis-Moi » lancé par Jésus et ses premiers apôtres. Il pense aux nombreuses paroisses sans prêtre, après la tourmente de la Révolution, il évoque les messes nocturnes dans les granges, la misère des gens qui n'ont personne à qui demander conseil , il se souvient de sa première communion ; oui, il veut être prêtre, il sera prêtre.

Mais, comment faire ? Il a dix-sept ans, ne sait pas un mot de latin, et ses études ont été très peu poussées… Et sa mère ? Et son père ?
Jean-Marie parle d'abord à sa mère. Celle-ci pleure de joie et sert son fils dans ses bras. Mais le père reste inflexible. Ni les raisons données par le jeune homme, ni les supplications de la maman n'ont d'effet sur sa décision. On a fait récemment de grosses dépenses pour la ferme, on a besoin des bras solides du garçon. Et puis d'ailleurs, comment le faire instruire ?

L'épreuve dure près de deux ans. Jean-Marie se tait douloureusement, continue son travail avec autant d'amour, mais il ne démord pas de son idée.
Juste à ce moment, l'abbé Balley, curé d'Ecully, grand apôtre du Christ, ouvre dans son presbytère une école pour former de futurs prêtres. Jean-Marie reprend espoir, sa mère aussi, et tous deux en reparlent au père qui, cette fois, n'ose plus refuser.
– « Puisque Jean-Marie y tient, » dit-il, « il ne faut pas le contrarier d'avantage. »

Marie Vianney et sa sœur, Marguerite Humbert, vont aussi à Ecully trouver Monsieur Balley. Elle lui raconte la jeunesse de Jean-Marie et comment lui est venue l'idée d'être prêtre. Monsieur Balley refuse d'abord : son école est pleine, il est écrasé de travail… mais elles insistent, le supplient de consentir au moins à voir le jeune homme. Le curé accepte et Jean-Marie vient avec sa mère.
Le prêtre le regarde longuement, l'interroge, et enfin l'embrasse en disant :
– « Soyez tranquille, mon ami, je me sacrifierai pour vous s'il le faut. »

Jean-Marie part donc pour Ecully et prend de nouveau pension au « Point-du-Jour » chez sa tante. Il se contente d'une soupe midi et soir, essayant par ses pénitences d'obtenir la bénédiction du Seigneur sur son travail. Car si son amour de Dieu et des pauvres grandit, l'étude lui est difficile. Il y a bien longtemps déjà qu'il a quitté l'école, et sa mémoire s'est rouillée. Le latin en demande beaucoup. Il a beau travailler opiniâtrement le soir, le lendemain matin, tout s'est envolé.

Quelques uns de ses camarades l'aident de leur mieux, surtout un jeune nommé Mathias Loras. Mais Mathias est nerveux. Un jour, agacé de voir que Jean-Marie n'arrive pas à comprendre malgré ses explications répétées, il lui donne une gifle en présence des autres élèves. Jean-Marie se met humblement à genoux devant lui et lui demande pardon ; et Mathias, regrettant son geste, tombe dans les bras de son camarade. Jamais celui qui deviendra Mgr Loras n'oubliera ce geste et l'amitié qui en avait jailli.

Mais le latin n'entre toujours pas. Aussi le découragement s'empare-t-il du jeune homme. Il revoit en pensée ses champs, sa maison, ses travaux à la ferme :
– « Comme c'était plus facile. »
Et il va trouver le curé pour lui dire :
– « Je m'en vais retourner chez nous. »
Monsieur Balley l'accueille avec affection, l'encourage à tenir bon. Jean-Marie reprend ses livres, mais décide de faire un pèlerinage à la Louvesc, au tombeau de saint Jean-François Régis pour demander au saint de l'aider dans ses études.
D'Ecully à La Louvesc il y a une centaine de kilomètres. Le chapelet dans une main, un bâton dans l'autre, Jean-Marie part, mendiant son pain, mal accueilli dans beaucoup de fermes. Mangeant des herbes, buvant l'eau des sources, dormant à la belle étoile, il parvint à La Louvesc, s'agenouille devant le tombeau du saint, le suppliant de « lui accorder la grâce de savoir assez le latin pour faire sa théologie.»
Dès lors, il fit assez de progrès pour ne pas se décourager, et les livres ne le dégoûtèrent plus
.
En 1807, Jean-Marie reçoit, à Ecully même, le sacrement de confirmation des mains du cardinal-archevêque de Lyon. Il Choisit comme patron de confirmation saint Jean-Baptiste, le précurseur du Christ ; ce patron sera, durant toute sa vie, un de ses saints préférés. Jean-Marie veut être, comme Jean-Baptiste, l'humble serviteur qui prépare les âmes à rencontrer et à accueillir Dieu dans leur vie… Il signera désormais tantôt « Jean-Marie-Baptiste », tantôt « Jean-Baptiste-Marie ».



 
 
le curé d'Ars…
 
Jean-Marie Vianney